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Des Palestiniens tentant d'obtenir de la nourriture dans une cuisine caritative Ă  Gaza-Ville. Des Palestiniens tentant d'obtenir de la nourriture dans une cuisine caritative Ă  Gaza-Ville.   (MAHMOUD ISSA)

À Gaza, les humanitaires contraints de «manger une fois par jour»

Dans un communiqué publié ce mercredi, plus d’une centaines d’ONGs ont à nouveau tiré la sonnette d’alarme sur la situation humanitaire dans l'enclave palestinienne. «Alors qu'une famine de masse se propage dans la bande de Gaza, nos collègues et les personnes que nous aidons dépérissent» avertissent les organisations, parmi lesquelles Caritas et Médecins du monde. Entretien avec la directrice des opérations internationales chez MdM.

Alexandra Sirgant – Cité du Vatican

Plus d'une centaine d'organisations humanitaires ont averti dans un communiqué ce mercredi 23 juillet qu'une «famine de masse» se propageait dans la bande de Gaza et ont exhorté le gouvernement israélien à débloquer l’aide humanitaire. Des déclarations rejetées par l’État hébreu qui accuse de son côté le Hamas de provoquer cette pénurie.

Lundi déjà, la société des journalistes de l’AFP alertait dans un communiqué sur la situation dans laquelle travaillent et vivent dix de leurs collaborateurs toujours présents à Gaza, et qui risquent désormais de «mourir de faim». Affaiblis physiquement et moralement, certains de ces journalistes ont témoigné de la difficulté pour eux aussi de trouver à manger et donc d'avoir l'énergie nécessaire pour exercer leur métier. Il en est de même pour les équipes des quelques ONG qui parviennent encore à opérer sur place, tel que Médecins du Monde, qui compte six cliniques et un effectif de 110 personnes réparties sur l'ensemble de la bande de Gaza. Entretien avec Helena Ranchal, directrice des opérations internationales chez Médecins du Monde.

Médecins de Monde est l’une des ONGs signataires de ce nouveau cri d’alerte pour Gaza. Quelle est la situation sanitaire sur place aujourd’hui?

Je ne trouve plus d’adjectif pour décrire la situation humanitaire. “Catastrophique, désastreux”, ce n’est pas assez pour décrire ce qu’il se passe. La réalité, c'est que le système de santé est complètement à terre. Il y a énormément de structures qui ne sont pas opérationnelles car elles ont été ciblées, car il n'y a pas de personnel, car il n'y a pas de matériel... Et surtout, il faut souligner que la population a été déplacée de force sur une superficie qui représente 12 % du territoire de la bande de Gaza. Beaucoup de structures été situées dans des zones où désormais elles ne peuvent plus être opérationnelles car les gens ne peuvent pas rester là-bas sans risquer de mourir sous les bombardements.

Médecins du Monde parvient encore à travailler à Gaza?

Nous avons six cliniques réparties sur tout le territoire, avec un effectif de 110 personnes dans la bande de Gaza. Mais, chaque jour cela change: parfois il y en a trois, parfois quatre, car les conditions de sécurité sont tellement volatiles qu’il y a des jours où nous ne pouvons pas ouvrir la clinique. Il y a aussi des cliniques que l’on doit fermer temporairement pour les ouvrir dans une nouvelle zone car, d’un jour à l’autre, la zone dans laquelle elle se trouvait est sous ordre d’évacuation de l’armée israélienne.

On est de moins en moins d’acteurs de santé à pouvoir fournir des soins aux citoyens et aux infrastructures existantes. Par conséquent, on a des files d’attentes devant nos cliniques qui dépassent nos capacités, c’est vraiment du jamais vu! Quand elles le peuvent, les cliniques fonctionnent tous les jours et avec des créneaux horaires assez larges. On ouvre le matin à la première heure, on a des files d'attente incroyables et des gens qui viennent, dans un premier temps pour se soigner et dans un deuxième temps pour récupérer des compléments alimentaires vu que la situation alimentaire est très compliquée. On ne peut pas faire rentrer des biens, du matériel, des médicaments. Il y a des tonnes de médicaments qui sont en train de périmer à la frontière, à quelques kilomètres de là…

De plus, jusqu'à maintenant, c’est l’OMS, l’Organisation mondiale de la Santé, qui gérait les stocks, mais ces stocks ont été ciblés, attaqués, détruits cette semaine! Donc en résumé: nous n’avons pas de personnel, nous ne pouvons pas faire rentrer les choses, les choses qui étaient à l'intérieur de la bande de Gaza ont été détruites… Il y a un moment, on ne peut pas soigner qu'avec la parole.

«Il y a des tonnes de médicaments qui sont en train de périmer à la frontière»

Cette situation de blocus de l’aide humanitaire s’est empirée depuis la fin du cessez-le-feu temporaire en mars dernier… Il n’a été que partiellement assoupli fin mai.

Nous, on a des camions depuis des mois qu’on ne peut pas faire rentrer. Et cela, ce n’est pas une question de manque de capacité logistique, c'est un manque de volonté politique.

Au niveau nutrition, la situation est dramatique. Notre personnel, qui sont des Gazaouis, nous disent que c’est extrêmement compliqué de manger tous les jours parce que les prix sont exorbitants et parce qu’ils ne trouvent pas de nourriture. Ils sont réduits à manger une fois par jour quand c'est possible. Ça pour un adulte, c'est déjà compliqué à gérer, surtout quand ça fait 18 mois que vous vivez dans une situation très difficile. Imaginez-vous pour les gens malades, les enfants, etc. C'est extrêmement compliqué.

Nous, dans nos cliniques, nous sommes censés être le premier échelon dans le système de santé, ceux qui administrent les premiers soins. Mais vu qu'il n'y a pas beaucoup de structures de santé, on se retrouve maintenant à devoir faire tous les soins et stabilisation des blessures par balles avant de ramener les blessés vers des hôpitaux. Ce sont des soins qui se font normalement directement dans les hôpitaux.

On est en train de faire avec les moyens du bord. Dans certains hôpitaux, il y a jusqu'à cinq bébés par incubateur. Imaginez… 

Il faut rappeler que Gaza, c'est un territoire assez petit, c'est 30 kilomètres de large à l'origine. Et la population est aujourd’hui rassemblée sur 12% du territoire. De la côte aux frontières, tous les accès sont gérés par le gouvernement israélien qui bloque absolument tout: la rentrée des personnels, la sortie, l’évacuation des personnes.

Il y a 15 000 personnes à l'intérieur qui ont besoin d'être évacuées parce qu'il n'y a pas les soins adéquats à l'intérieur, certains ont besoin de chimiothérapies ou de faire des dialyses, etc. Parmi les morts que l’on compte à Gaza, il ne faut pas oublier ceux qui sont morts car ils n’ont pas eu accès à la santé. Sachant qu’à dix kilomètres de là, en Cisjordanie et dans les pays autour, il y a les moyens pour soigner ces personnes. Donc c’est une volonté politique de freiner et d’empêcher cet accès.

«Manger tous les jours, c'est extrêmement compliqué...»

 

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24 juillet 2025, 11:21