ĐÓMAPµĽş˝

L'Ă©glise latine de la Sainte-Famille après la frappe israĂ©lienne, Ă  Gaza, le 18 juillet 2025. L'Ă©glise latine de la Sainte-Famille après la frappe israĂ©lienne, Ă  Gaza, le 18 juillet 2025.  

Cardinal Filoni: le dĂ©part des ł¦łó°ůĂ©łŮľ±±đ˛Ô˛ő de Gaza serait un drame pour l’Église

Une semaine après l’attaque perpĂ©trĂ©e contre l’église latine de la Sainte-Famille de Gaza, les ł¦łó°ůĂ©łŮľ±±đ˛Ô˛ő de l’enclave demeurent plus solidaires et rĂ©silients que jamais. En Ă©tat de survie, ils tĂ©moignent d’une lumineuse humanitĂ© au milieu des dĂ©combres. Entretien avec le cardinal Fernando Filoni, grand maĂ®tre de l'Ordre Ă©questre du Saint-SĂ©pulcre, ancien nonce apostolique au Moyen-Orient, en Irak et en Jordanie.

Delphine Allaire - Cité du Vatican

De quoi la toute petite communauté catholique de Gaza est-elle devenue un symbole aujourd’hui? Comment qualifier son témoignage?

Gaza connaît une réalité dramatique aujourd'hui. Nous vivons tous cette même tension quotidienne, avec son lot de morts, de souffrances, maintenant de drames de la faim. Dans cette réalité, subsiste une petite communauté chrétienne, une paroisse, composée aussi de chrétiens orthodoxes, qui vivent la même problématique. Dans cette grande réalité culturelle et religieuse islamique, il y a cette toute petite réalité chrétienne catholique. C’est un témoignage, car les chrétiens et les catholiques de Gaza ne sont pas partis malgré les difficultés, les bombes. Bien au contraire, ils ont partagé les mêmes drames humains, aussi en payant de leur vie, car il y a eu des morts dans le passé, comme récemment. Outre cette condition commune de souffrance, les catholiques de Gaza ont aussi partagé leur nourriture, les provisions et les médicaments arrivés dans la paroisse avec des habitants qui ne sont pas chrétiens. Il ne s’agit pas d’un élément secondaire, car cela signifie que l’Église, en dépit des difficultés qu'elle rencontre dans de nombreuses parties du monde, de diverses manières, les rencontre ici en convivance dans une zone de guerre violemment attaquée. Le Pape a évoqué des barbaries, et c’est vrai. Je pense qu'il n'y a pas besoin de plus de témoignages, parce que tout le monde le voit maintenant dans les nouvelles quotidiennes. Il s'agit de situations barbares.

 

Quelle est l’importance de rester sur ces territoires, de ne pas fuir, et ainsi maintenir une présence vivante à Gaza ou en Cisjordanie?

L'Église pourrait partir mais elle ne le fait pas parce que les chrétiens sont aussi des citoyens de Gaza, membres de cette communauté. Jusqu'à présent, ils ont vécu ensemble, ils ont partagé tous les aspects de cette vie, et le drame qu'ils vivent aujourd'hui ne leur permet pas de partir, parce que ce sont des gens avec lesquels ils ont une culture, des traditions, une vie en commun depuis tant d'années. Ainsi, l'Église reste à Gaza et continue à faire son travail, même dans la précarité, dans les difficultés de tous, mais surtout parce qu'ils sont chrétiens en plus d'être, bien sûr, des citoyens de Gaza comme tout le monde.

Comment les chrétiens de l’enclave palestinienne, outre d’être des citoyens à part entière, jouent-ils néanmoins un rôle supplémentaire de “pont entre les communautés”?

Au fil des ans, je me suis retrouvé à plusieurs reprises dans des environnements à forte majorité musulmane. Par exemple, en Irak, la communauté chrétienne, relativement peu nombreuse, est partie, mais la grande majorité musulmane est restée. Je me souviens bien de l'époque où tant de musulmans priaient les chrétiens de ne pas partir, “vous êtes les modérés parmi nous”, il y a une reconnaissance historique. Les racines chrétiennes sont là. C’est un état de fait d’ordre social et culturel. En d'autres termes, le christianisme n'est pas arrivé de l’extérieur, il était déjà là lorsque l'islam est arrivé sur ces terres. Les chrétiens sont donc des citoyens locaux à Gaza. Gaza leur appartient également en tant que territoire. Le jour où ils partent, cette caractéristique, cette qualité sera perdue. C'est pourquoi l'Église, même à Gaza, sait que Gaza lui appartient aussi. L'abandonner serait un problème, un drame, une énorme difficulté. Et cela, l'Église ne peut pas le faire. Les chrétiens la ressentent comme une perception psychologique, spirituelle et morale. «Nous sommes d’ici, nous voulons rester».

Lors de l’Angélus du 20 juillet, mais aussi lors de ses deux appels téléphoniques avec les dirigeants israélien et palestinien, Léon XIV a souligné l’obligation de protéger civils et Lieux saints. Pourquoi cette position du Pape est-elle si importante sur cette question?

Nous savons bien comment le Pape François, depuis des années -je dis bien depuis des années, car plus d'un an et demi s'est écoulé- et presque quotidiennement, a lancé cet appel, il a insisté pour la paix, et malheureusement il n'a pas été écouté. Le Pape Léon poursuit cette voie, mais ce n'est pas le Pape, c’est la communauté chrétienne catholique du monde entier qui le demande. Le Pape s’en fait l’interprète. Nous ne sommes pas insensibles à ce cri de souffrance, de douleur qui vient de Gaza, non seulement pour les chrétiens, mais aussi pour l'ensemble de la population. Et parfois, je me dis, même si je sais que la cause de ces drames est la violence du Hamas à l'égard des citoyens israéliens, les meurtres, les déportations, et cela ne doit jamais être oublié et doit faire partie de cette histoire. Cependant, nous nous demandons s'il est possible que toute cette population de Gaza doive aujourd'hui souffrir non seulement des bombardements, mais aussi de la faim et de la soif?

On pourrait donc penser qu'un peuple comme celui qui habite aujourd'hui la Terre Sainte, en particulier Israël, qui a vécu de manière dramatique les années de la dernière guerre mondiale, qui a souffert de persécutions, qui, aujourd'hui encore, subit des discriminations par réaction ou pour d'autres raisons, ne devrait-il pas se rendre compte qu'il est temps de dire que cela suffit? Que le dialogue peut reprendre et que les nombreux morts, les nombreuses souffrances, ne sont pas un prix trop élevé? Le Pape se fait l'interprète de cette voix, ses paroles sont partagées par l'ensemble de l'Église. Et même la communauté internationale civile pense que cela ne peut pas continuer ainsi. Dire alors que les lieux de culte, mais aussi les hôpitaux, mais aussi les écoles, ne doivent pas être attaqués, est la moindre des choses. Cela fait partie d'un droit international auquel tous adhèrent non seulement par principe et par souscription, mais aussi par bon sens.

Comment l’Ordre du Saint-Sépulcre remplit-il sa mission historique de soutien aux chrétiens de Terre Sainte dans pareil contexte?

Nous avons reçu cet engagement du bienheureux Pape Pie IX depuis 1847, que tous les Papes ont poursuivi jusqu'à François et, maintenant, le Pape Léon XIV. L'engagement est de soutenir l'Église en Terre Sainte afin que cette Église ne devienne pas, ou plutôt, que ce territoire ne devienne pas pour l'Église le site archéologique de notre foi, c’est-à-dire, de s’y rendre pour faire de l'archéologie ou pour étudier le lieu où la foi est née. Non, cette terre appartient aux chrétiens, aux musulmans et aux juifs. C'est une terre de partage. L'Ordre du Saint-Sépulcre, ayant reçu cette mission, le ressent d'une manière particulière. Il ne s'agit donc pas de mener des guerres déplacées, mais de mener un autre type de guerre, pour ainsi dire, qui consiste à soutenir la réalité chrétienne, aujourd'hui si minoritaire en Terre Sainte, de sorte que même les pèlerins qui s'y rendent aient le sentiment que la Terre Sainte est le théâtre d'une présence vivante d'une Église, petite mais vivante. L’Église de Terre Sainte est l'Église mère dont nous sommes tous issus en tant qu'Églises. Ce n'est pas une maison que l’on peut abandonner alors que c'est notre maison mère où nous sommes tous nés.

L'Ordre du Saint-Sépulcre représente donc par sa présence de quelque 30 000 chevaliers et dames du monde entier cette universalité qui y est assumée précisément par la sensibilité de ne jamais oublier. C'est le rôle, la fonction de cette Église mère. Nos chevaliers et nos dames ne vont pas à la recherche d'argent. Toutes les contributions qui sont données sont les contributions qu'ils versent personnellement à l'Ordre sous la forme d'une cotisation annuelle qui va en Terre Sainte. Nous parlons de chiffres importants: l'année dernière, plus de 16 millions d'euros ont été envoyés en Terre Sainte, et ils couvrent par exemple toute la réalité institutionnelle du Patriarcat latin de Jérusalem. C'est-à-dire que nous parlons de près de 5 millions et demi pour soutenir la réalité du Patriarcat lui-même, les personnes qui y travaillent, les prêtres, le séminaire de Beit Jala, les Ĺ“uvres du Patriarcat lui-même, l'aide aux familles pauvres. Nous devons les aider à payer les enseignants, les professeurs et la réalité des 44 écoles du Patriarcat elles-mêmes, quantifié à 5 millions. Sans cela, l'éducation fondamentale qui fait partie de la mission de l'Église et qui est ouverte aux chrétiens et aux non-chrétiens, par laquelle les écoles sont le lieu et le gymnase de la coexistence et de la possibilité d'apprendre à se connaître et à se respecter et de vivre ensemble échouerait.

Il y a aussi une aide humanitaire et médicale qui s'élève à plus d'un million d'euros. Nous parlons toujours d'une aide humanitaire extraordinaire pour Gaza, encore un demi-million. Nous parlons d'autres institutions, comme les écoles spécialisées, notamment pour les personnes qui n'ont pas reçu d'éducation ou qui ont des enfants handicapés, etc., de sorte qu'elles s'inscrivent également dans une dimension quelque peu sociale de plus de 1 million et demi. Nous n'apparaissons jamais, mais nous sommes derrière tout cet institutionnalisme que le patriarcat doit poursuivre, sinon il échouerait.

Observez-vous une croissance des dons pour la Terre Sainte depuis le 7 octobre 2023?

Il y a eu une évolution, oui, mais n'oublions pas, par exemple, qu'à l'époque du Covid-19, il y a eu une grande générosité parce que toutes les institutions étaient bloquées, mais il fallait payer les enseignants, les professeurs. Pensons maintenant à la situation à Gaza, mais pensons aussi aux centaines et aux milliers de réfugiés, d'abord d'Irak, puis de Syrie, qui affluent en Jordanie, qui est aussi un territoire du Patriarcat, ou dans la réalité de la Palestine, pensons à la Cisjordanie, pensons aussi aux difficultés de toutes ces familles qui ont perdu leur emploi avec la guerre à Gaza parce qu'elles ne peuvent pas aller travailler comme avant en Israël, elles sont au chômage mais elles ont une famille à faire vivre.

Pour soutenir ces familles, il est essentiel de leur offrir la possibilité de trouver un autre emploi en attendant la fin de la guerre. Comme vous le voyez, la guerre à Gaza a aggravé à bien des égards non seulement ce qui se passe à Gaza, mais aussi ce qui se passe, par exemple, dans d'autres parties de la Palestine, y compris en Jordanie, où le travail a diminué, où le tourisme a diminué. Les pèlerinages ont été interrompus, mais la vie des gens doit continuer.

Le soutien spirituel de l’Église est vital par la prière. L’Ordre du Saint-Sépulcre accueille en son sein l’icône de Notre-Dame de Palestine, quelle est son histoire?

En regardant cette icône, on a l'idée de Marie assise comme une reine, mais dans le sens non pas de la somptuosité, mais de la réalité simple et humaine de Marie, qui ne tient cependant plus l'Enfant Jésus dans ses bras. L'Enfant Jésus a en effet grandi. Il a donné sa vie pour le monde, est mort et est ressuscité. Les bras de Marie semblaient donc vides. Mais depuis le jour où elle était présente à la Pentecôte avec les Apôtres, ce jour-là l'Église est née, un enfant est né qui s'appelle l'Église et Marie l'a pris dans ses bras. Jésus l'a confiée sous la Croix à Jean “ceci est votre Mère”. Nous avons donc une Mère qui prend sur elle l'Église, l'Église de Palestine d'abord, qui est notre Mère, puis l'Église du monde.

J'en ai parlé au Pape François qui a béni cette photo et lui ai dit: «Sainteté, vous savez que Marie a aussi eu une petite fille et que le Concile Vatican II a proclamé, par l'intermédiaire du saint Pape Paul VI, Marie, Mère de l'Église et donc Mère de cette Église». Le deuxième enfant de Marie est une petite fille qui s’appelle Église. D'autre part, les apparitions de Marie, la présence de Marie partout, les sanctuaires qui existent nous disent que le peuple de Dieu aime la maternité et la présence de Marie partout dans cette icône.

Dans cette mer de violences, quelles lueurs d'espérance percevez-vous pour la Palestine et la Terre Sainte?

On peut penser à l'espérance qui a accompagné Marie tout au long de sa vie et à la présence de Jésus. Quelle était l'espérance au moment où un ange lui dit Tu seras mère? Mais sans l'apport d'un homme comme don et présence de Dieu, de l'Esprit Saint, Marie a dû exercer sa foi et son espérance. Et puis, lorsqu'elle a dû fuir, par exemple à cause de la persécution d'Hérode, n'était-ce pas un moment où elle a dû souffrir tout en nourrissant cette espérance qui est plus forte que la souffrance et la persécution et que les trente années silencieuses de la vie de Jésus. Vous êtes-vous déjà demandé si tout cela était vrai?

Et c'est là qu'il a exercé une grande espérance en tant que vertu théologique. Et devant la croix, qu'a-t-il pensé? Et face au fait de confier une réalité naissante comme l'Église? En ce sens, Marie est pour nous le prototype de la foi, mais aussi de l'espérance. Dans cette espérance, il y a aussi cette charité, c'est-à-dire l'amour, parce que la charité est amour.

“Marie est le prototype de l’espérance”

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

26 juillet 2025, 08:00