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Mgr Vincenzio Paglia. Mgr Vincenzio Paglia.  (ANSA)

Mgr Vincenzio Paglia, un homme au service de la famille et de la vie

Une Église plus à l’écoute de la famille telle qu’elle est aujourd’hui, pour l’encourager à cheminer vers un idéal, tel fut le mandat donné par le Pape François à Mgr Paglia qu’il nommait en 2016 président de l’Institut Jean-Paul II et de l’Académie pour la Vie. À ce poste qu’il vient de quitter, l’évêque italien a œuvré pour une alliance éthique afin de défendre la vie face à tout danger, euthanasie, guerre ou intelligence artificielle.

Entretien réalisé par Marie Duhamel

«Notre monde peine à trouver une valeur à la vie humaine, même en sa dernière heure». C’est ce que déclarait le Pape mercredi aux pèlerins francophones venus assister à l’audience générale. Alors qu’un projet de loi sur une «aide à mourir» est en cours d’examen en France, Léon XIV espère «que l’Esprit du Seigneur éclaire nos intelligences, pour que nous sachions défendre la dignité intrinsèque de toute personne humaine». Une prière qui fut probablement celle, ces sept dernières années, de Mgr Vincenzo Paglia.

L’évêque italien fut choisi par le Pape François en 2016 pour présider l’Académie pontificale pour la vie, ainsi que l’institut pontifical Jean-Paul II, dans le prolongement de son mandat à la tête du conseil pontifical pour la Famille, où il avait été nommé en 2012 par Benoît XVI. Ces mandats ont pris fin le 27 et 19 mai dernier, moins d’un moins après les 80 ans de Mgr Paglia. L’occasion d’un bilan sur ses années de service à la Curie, en faveur de la famille et de la vie.

Dans quelles circonstances avez-vous été appelé en 2012 à vous mettre au service des familles?

J’ai participé à la dernière la Rencontre mondiale des familles présidée par Benoît XVI à Milan. Je me souviens de sa préoccupation concernant les familles blessées, en particulier pour les divorcés remariés, c’est ce qui l’a poussé à convoquer un synode sur la famille, et c’est à ce moment-là qu’il m’a nommé président du conseil pontifical pour la Famille. Il m’avait en particulier demandé d'étudier méticuleusement le sujet jusqu'à approfondir la théologie des Églises orientales.

Quand arrive le Pape François, nous sommes en plein préparation du Synode sur la famille (octobre 2014 et octobre 2015). Le Pape François nous a exhortés à regarder la réalité des familles. Il me disait: «Il n’est pas d’abord question de réorganiser le principe. Nous devons absolument prendre sur nos épaules, sur les épaules de l'Eglise, toutes les familles telles qu’elles sont dans l'Histoire, comme elles vivent et nous devons les aider afin qu’elles arrivent à l’idéal familial». Ce fut le sens d’Amoris Laetitia.

Il fallait prendre en considération le grand bouleversement qu'a connu la famille depuis le milieu du siècle dernier?

La famille a été très bouleversée dans sa réalité et dans sa définition. Et l’Église s'est mise à son écoute. Comme une mère miséricordieuse, elle a senti qu’il fallait avant tout aider les familles à bien ‘être’, à comprendre leur situation, leur vocation, à se soulever ou à entreprendre un chemin. C'est dans ce sens qu'on doit comprendre le regard pastoral du Pape François. Il me disait que le dernier point de droit canonique est «la salus anime» plus que le «salus principium». Il ne fallait écarter aucune famille, et toujours souligner l'importance de la présence de l'amour de Dieu. C'est pour cette raison qu'au chapitre VI d’Amoris Laetitia, nous avons une réflexion incroyable, splendide, sur le Cantique des Cantiques. Le Synode n'en avait pas parlé, mais le Pape a voulu l’inscrire pour rappeler à tout chrétien de s'adresser avec miséricorde aux familles.

Comment avez-vous cherché à mettre en application cette approche à la tête de l'Institut Jean-Paul II?

Le Pape François m'a confié la responsabilité de l'Institut Jean-Paul II, avec pour mission première de réfléchir à la famille. Il s’agit comme vous le savez d’un institut universitaire (lié à l’Université pontificale du Latran). Et nous avons découvert que s’il existait de nombreuses de réflexions sur le couple, du point de vue moral et canonique – des bibliothèques entières sur les questions juridiques liées au couple, rien ou presque n’existait sur la famille et le thème des relations.

Aussi nous avons réédifier l’Institut Jean-Paul II en fondant une nouvelle théologie de la famille en lien avec toutes les sciences que celle-ci interroge: la culture, l'économie, la théologie évidemment, mais aussi la morale, l'histoire, la sociologie ou la psychologie. Il me semble que nous avons aujourd'hui un institut qui est vraiment complet du point de vue de la théologie de la famille.

Et d'un point de vue pastoral?

D’un point de vue pastoral, nous avons découvert qu'il y avait un danger: d’un côté, les églises, les paroisses par exemple, étaient peu familiales, très individualistes, et que d’un autre côté les familles étaient peu ecclésiales, repliées sur elles-mêmes. L’effort a ainsi consisté à familiariser les paroisses et à ecclésialiser les familles.

Nous avons cherché à encourager une nouvelle perspective relationnelle, plurielle, en soulignant la richesse de la diversité des relations sur le plan familial et en insistant sur la fraternité, le respect dû à l’autre, au grand-père ou au neveu. Il était important de travailler également à l’unité avec les autres familles de la paroisse. Je me souviens en particulier d’une audience du Pape avec les fiancés. Cela n’était jamais arrivé. La joie de ces jeunes reste imprimée dans ma mémoire.

Enfin, nous avons mis l’accent sur le lien avec les personnes qui sont seules et insister sur les convivences non familiales, qui représente une occasion de dialogue avec la société, pour éventuellement aider un cheminement vers la famille. C’est une question qui mérite selon moi d’être davantage étudiée. Pensons, par exemple, aux personnes âgées. Pourquoi ne peuvent-elles vivre ensemble avec des responsabilités juridiques?

Quel regard avez-vous porté en tant que président de l'Académie pontificale pour la Vie sur les différentes légalisations de l’euthanasie et du suicide assisté. Comment peut se faire entendre l’Église dans les sociétés occidentales sécularisées?

Nous continuons à dire que nous ne pouvons admettre l’avortement ou l’euthanasie, mais ce n’est pas une question strictement catholique. C’est une question de respect de la vie. Je connais beaucoup de personnes non-croyantes qui y sont contraire, et nous avons ouvert l'Académie à des scientistes d'autres confessions ou non-croyants, pour demander une nouvelle réflexion sur la richesse de la vie. Nous devons la défendre. Pas seulement à son début, mais à tous les âges, dans toutes les conditions. Que dire sur la famine, l’abandon des adolescents, la peine de mort, la guerre, etc.

En outre, comme chrétiens, nous devons par ailleurs souligner que la mort n'est pas la fin. La vie continue. Il me semble qu’on ne le dit jamais, ce qui est selon moi un péché d’omission très très grave. Nous devons annoncer une vie pleine et éternelle, c’est ce que nous défendons, voulons faire croître et faire vivre. Tout le monde doit avoir une vie pleine, personne ne doit être abandonné.  La solitude et la souffrance sont terribles et pour cette raison l’Académie pour la vie a plaidé avec force en faveur des soins palliatifs.

Nous nous demandons pourquoi il existe dans beaucoup de pays un acharnement pour donner la mort à individu, alors que dans le même temps nous oublions l’abandon thérapeutique subi par des milliers de personnes âgées et des milliers de personnes handicapées qui ne reçoivent aucune aide. Je suis très préoccupé par des législations qui oublient leur responsabilité vis-à-vis d'une majorité de personnes pour s'arrêter à juger ou à prendre des décisions qui concerne quelques-uns.  

Et quand quelqu'un dit «ma vie m’appartient», je lui réponds que «oui, en effet elle t’appartient mais pas uniquement à toi. Elle appartient aussi à d’autres, à commencer par tes parents, mais aussi à moi qui suis ton ami, etc». L'individualisme est un poison qui alimente cette culture de l'abandon.

À mon avis, nous devons redécouvrir la responsabilité et la valeur de la vie comme le nombre plus grand don que nous avons reçu, et la défendre dans toutes les circonstances. Pourquoi rester silencieux face à la terrible situation des prisons, face à la guerre?

Vous mettez également en garde contre de nouvelles frontières qui pourraient se révéler menaçantes pour la vie, telle que l’Intelligence artificielle, la robotique ou les recherches sur le génome. Quelle réponse a été celle de l’Académie sous votre impulsion? 

Pour la première fois dans l'histoire, l'homme et la femme peuvent détruire la création, avec le nucléaire, avec le désastre climatique, avec les nouvelles sciences convergentes. Nous pouvons détruire tout le monde. Face à ce terrible risque mortel, il nous faut redécouvrir l'humain commun et le défendre, et je juge nécessaire une alliance large entre les sciences, la philosophie, la théologie, les arts, l'économie, la politique. On parle d’un risque anthropocène. C’est le grand défi d’aujourd’hui, et c’est pour y faire face que l’Académie pontificale pour la Vie a proposé une charté éthique de l'intelligence artificielle. Nous parlons d’AlgoÉthique à opposer à l’Algocratie, la dictature des algorithmes. Il s’agit là pour moi de la nouvelle frontière de l'éthique et de la morale.

Vous avez d'ailleurs été précurseur sur cette question de l'intelligence artificielle avec l’Appel de Rome qui date de 2020. De nombreux groupes, notamment des géants de la tech américains, l'ont signé. Dans quel esprit, avec quel espoir vous êtes-vous engagé dans cette aventure?

Ils ne furent pas les seuls à signer. Toutes les religions du monde ont également signé cet appel l’an dernier à Hiroshima, où la technique a tout détruit. 250 universités sont également signataires et prochainement Amazon et Cisco devraient également apposer leur signature. Un congrès réunissant des industriels est prévu pour la fin juin.  

Le problème qui reste, à mon avis, la quasi absence du politique. Notre sort est aujourd’hui dans les mains de ceux qui ont le pouvoir sur nos données et malheureusement, il n'y a aucune règle. L’Appel de Rome souligne des responsabilités à prendre dans trois domaines: l’éthique des algorithmes, l’éducation des jeunes et des adultes pour ne pas faire des choix inconscients, enfin la question juridique. Nous devons pousser les gouvernements et les différentes compagnies à légiférer pour avoir un cadre juridique international, pour que soit règlementée la possession des données personnelles.

Entretien avec Mgr Vincenzo Paglia

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06 juin 2025, 18:39