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Le cardinal Shomali Gharib, archevêque de Santiago du Chili, le 3 mai. Le cardinal Shomali Gharib, archevêque de Santiago du Chili, le 3 mai.   (AFP or licensors)

Le conclave, un événement médiatique hors-norme pour l'Église

Près de 5000 journalistes du monde entier couvrent l'élection du prochain pape, faisant de l'Église catholique le centre médiatique du monde. Analyse des ressorts de la communication d'un conclave, un moment spécial de l'histoire de l'Église qui échappe aux interprétations journalistiques traditionnelles, avec Olivier Mathonat, doctorant préparant une thèse sur médias et conclaves.

Olivier Bonnel -Cité du Vatican

Aux abords de la place Saint-Pierre, nul promeneur ne peut les rater. Leurs caméras sont plantées sur la via della Conciliazione et les directs s'enchainent dans toutes les langues, alors que les fidèles poursuivent par groupes leur pèlerinage jubilaire et que les touristes goûtent aux douceurs du printemps romain. Depuis la mort du Pape François, les journalistes du monde entier ont convergé vers Rome. Plus de 4 700 personnes ont été accréditées par la salle de presse du Saint-Siège, tout support et toutes nationalités. Un évènement planétaire qui dépasse les seules frontières de l'Église catholique et de la ville de Rome et auquel il a fallu faire répondre dans l'urgence. 

Outre la traditionnelle salle de presse vaticane, située sous les arcades non loin de la place, il a fallu rouvrir une seconde salle, via dell'Ospedale, quelques centaines de mètres plus bas, pour donner plus d'espace aux journalistes. Présent à Rome ces derniers jours, Olivier Mathonat directeur-adjoint des études à l'Ircom, école de communication à Angers, dans l'ouest de la France. Il est surtout en train de préparer une thèse intitulée Le conclave, d'un événement à son discours. Son objet d'étude devait s’arrêter à 2013, mais le conclave qui se prépare lui donne l'occasion d'enrichir son travail. Nous lui avons demandé comment le langage d'un conclave pouvait s'accorder avec un récit médiatique.

Entretien avec Olivier Mathonat

Médiatiquement, un conclave est un immense paradoxe. Un universitaire italien le décrit comme «un évènement médiatique non médiatique par excellence», puisque la semaine prochaine, toutes les caméras du monde seront braquées sur des portes fermées, tout le monde guettera une fumée qui ne viendra pas, ou peut être pas tout de suite. L'Église a l'occasion de s'adresser en direct à une part très importante de l'humanité la semaine prochaine, et pour autant, à première vue, elle ne va rien dire. En réalité, elle va dire beaucoup de choses, mais dans un premier mouvement, c'est comme si l'Eglise se taisait au moment où tout le monde écoute.

Sur un plan médiatique , comment définir ce conclave de 2025 par rapport aux précédents que vous avez étudié?

Il y a plusieurs spécificités. La première est évidemment l'accélération médiatique avec les canaux extrêmement divers, les réseaux sociaux, une tendance qui existait déjà en 2013 mais qui s'est accentuée. On assiste à un phénomène nouveau, on voit effectivement des cardinaux qui se prennent en selfie, certains se pensent maintenant comme des médias eux mêmes, en tout cas, ils se rendent compte qu'ils ont un impact quand ils communiquent et quand ils le font en leur nom. On a vu aussi apparaître certains réseaux, venant de certaines sphères très actives et qui ont créé des supports un peu hybrides qui parfois prennent des codes institutionnels même s'ils restent des médias. Certains d'entre eux ont une ligne éditoriale extrêmement forte. 

Le cardinal Bo, archevêque de Rangoun, le 3 mai
Le cardinal Bo, archevêque de Rangoun, le 3 mai   (AFP or licensors)

La particularité d'un conclave est de mélanger les médias confessionnels catholiques mais aussi les médias du monde entier. Comment ce monde s'articule t-il?

En fait, il y a un très grand enjeu pédagogique parce que le conclave ne ressemble pas à une élection normale. Le conclave, ce n'est pas une élection du président de la Fédération catholique mondiale, et cela est parfois assez difficile à comprendre pour des médias qui, souvent, quand ils connaissent peu l'Église, raccrochent l'élection du Pape à des catégories qu'ils connaissent. Cela donne des questions parfois étonnantes. J'entendais hier une journaliste demander à un cardinal ce qu'il pensait du conclave. Une question étrange: on ne demande pas à un candidat à la Maison Blanche ce qu'il pense des élections américaines! Cela donne donc parfois des quiproquos, mais le quiproquo fondamental reste celui que les logiques médiatiques s'opposent d'une certaine façon à la logique ecclésiale. Je veux dire par là que l'Eglise prononce un discours de continuité, dans le discours de l'Église officielle, il n'y a pas de rupture d'un pontificat à l'autre, alors que ce qui intéresse un journaliste, c'est la rupture, la discontinuité. Les médias cherchent donc les oppositions entre les candidats, en tout cas entre les cardinaux, là où l'Eglise va en permanence dire et redire le déploiement du même ministère de Pierre. On constate ainsi qu'en fait on ne parle pas exactement le même langage de part et d'autre.

“Pendant quelques minutes ou quelques heures, l'Église va retrouver vraiment sa vocation universelle en s'adressant au monde entier”

Lors des obsèques d'un Pape ou la préparation d'un conclave, l'Église a une influence considérable en terme de communication: elle vient rappeler au monde entier ce qu'elle est, et en même temps prendre le risque d'affronter des représentations médiatiques erronées, comment résout-elle cette tension?

Il y a une chose qui apparaît assez étonnante à première vue, c'est qu'un rite, quand il est médiatisé, change de sens à chaque fois: ce n'est pas toujours le même couronnement d'un monarque anglais, ce n'est pas toujours le même conclave qui se rejoue à chaque fois, même si le rite semble le même. En fait, l'institution donne un sens. Ce qui est significatif pour le conclave, c'est que l'Église, pendant quelques minutes ou quelques heures peut être a vraiment l'occasion d'être universelle au sens étymologique : une institution qui s'adresse à tout le monde. Dans quelques jours,  quand le nouveau papa va apparaître à la Loggia, quand il va s'adresser au monde, il va dire quelque chose et donner une direction. Il va expliquer au nom de quoi il est là et quel est le sens qu'il va donner à son pontificat. Est-ce qu'il va dire "n'ayez pas peur!" ou "priez pour moi?" Tout cela va donner une direction et une cohérence a posteriori au conclave que l'on s’apprête à vivre. 

Faut-il être un journaliste catholique pour bien expliquer ce qu'est un conclave au monde profane?

Non, je pense qu'il faut les deux. Je crois qu'il faut des médias catholiques qui comprennent le parti-pris de l'Église, qui comprenne son intention, ses enjeux. Et je pense que des journalistes non catholiques apportent aussi un regard nouveau, peut être un peu plus disruptif, un peu moins loyal, mais qui me semble important aussi. Peut être que ce double rapport, cette double couverture permet de travailler à partir du point de vue de l'Église, même si évidemment, les médias confessionnels ne sont pas aux ordres, mais cette complémentarité me semble importante et nécessaire.

Le cardinal Goh de Singapour, le 3 mai
Le cardinal Goh de Singapour, le 3 mai

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03 mai 2025, 13:56