Le cardinal Ambongo s’exprime sur le Pape Léon XIV
Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican
Arrivé à Rome au lendemain du décès du Pape François, le cardinal Ambongo parle de trois moments intenses vécus en très peu de temps: les funérailles du Souverain pontife défunt, les congrégations générales et le conclave qui a élu Léon XIV. Après ces «trois moments», l'archevêque congolais s’est exprimé au micro de Radio Vatican–Vatican News. Il appelle notamment à «prier pour le successeur de Pierre afin que le Seigneur lui donne la lumière, la grâce, la force intérieure d’accomplir sa mission, qui est essentiellement la confirmation de tous les fidèles dans la foi» et de manifester la miséricorde de Dieu à l’humanité entière.
Éminence Fridolin cardinal Ambongo, vous venez de vivre une expérience très intense: les congrégations générales, puis le conclave. Comment avez-vous vécu ces temps intenses?
Je parlerais plutôt de trois moments très importants depuis mon arrivée ici. Le premier moment était les funérailles du Pape François que nous avons vécu avec beaucoup d'émotion. Ce grand Pape qui a effectué une visite chez nous au Congo. Nous gardons de lui tous ces souvenirs. Le deuxième moment, c'est ce qu'on appelle le pré-conclave avec les congrégations générales, qui a quand même duré plus qu’une semaine, je dirais dix jours. Et le troisième moment, c'est le conclave proprement dit. Chaque moment a été vécu d'une manière particulière. Les funérailles du Pape François, célébrées dans la douleur, dans la tristesse. Le deuxième moment, qui est le moment de pré-conclave et qui se caractérise par les congrégations, c'est-à-dire la réunion de tous les cardinaux, électeurs et non électeurs, a été un moment de réflexion, d'analyse, de regard critique sur la réalité de notre Église, au point où nous en sommes, en faisant aussi des projections pour l'avenir. L'ensemble de tout cela constitue une matière qui nous permet de définir le profil de celui que nous voulons sur le siège de Pierre pour nous aider à conduire l'Église. Les congrégations, c'est-à-dire le deuxième moment, préparent immédiatement le conclave, de telle sorte qu’en allant au conclave, que je considère comme le troisième moment de mon séjour ici, les choses se sont passées relativement bien parce que nous étions préparés.
Vous avez évoqué le profil du Pape que vous avez esquissé lors des congrégations générales. Vous avez notamment voulu un pasteur proche du peuple. Et le Souverain pontife que vous avez choisi répond à ce profil, étant un missionnaire. Quelles sont vos premières impressions après l’élection du nouveau Pape?
L'impression générale, vous avez vu quand les cardinaux sont sortis, c'est une joie et tout le monde était satisfait du choix de ce Pape, le pape Léon XIV, parce que devant Dieu, et c'est pour cela que nous avions prêté serment et devant notre conscience, nous étions arrivés à cette intime conviction que celui parmi nous qui correspondait le mieux au profil que nous avions défini, c'était lui. Et vous avez vu, en moins de 24 heures, les cardinaux qui sont venus d'horizons divers ont élu un Pape. Cet élément-là, je crois qu’il faut le prendre en compte. 133 cardinaux venus de quatre coins du monde, qui ne se connaissaient pas, parce que depuis que moi je suis cardinal, ça fait quand même maintenant cinq ans, nous avons eu le collège des cardinaux seulement une seule fois, c'était pour traiter de Praedicate evangelium. Mais tous ceux qui ont été nommés après nous, on ne les connaissait pas. Imaginez qu'en deux semaines, nous avons réussi à fraterniser, à nous connaître, à échanger. Et dans nos échanges, à dégager un consensus sur le profil du cardinal qui correspond le mieux aux priorités actuelles de l'Église, au grand défi actuel de l'Église. L'Esprit Saint était avec nous.
Est-ce que cela manifeste aussi une certaine unité du collège des cardinaux, qui doit aussi se refléter dans toute l'Église?
En fait, il y a un écart entre ce qu'on entend dans les médias et la réalité. Dans la presse, on dit que l'Église est divisée, il y a des conservateurs, il y a des progressistes. Ces catégories-là n'existent pas quand les cardinaux sont entre eux. Et la preuve, c'est ce que nous venons de vivre. Les cardinaux, qui représentent quand même l'ensemble de l'Église universelle, ont fait preuve d'une compréhension beaucoup plus approfondie de ce qu'est la nature réelle de l'Église. Et l'Eglise, ce n'est pas une idéologie comme on entend parfois les médias raconter, mais c'est plutôt l'attachement à une personne. Et cette personne s'appelle Jésus-Christ. Et c'est la question fondamentale qu'Il avait posée à Simon: m'aimes tu? M'aimes tu? Il s'agit d'aimer cet homme et de par le monde, tous les hommes, toutes les femmes qui aiment Jésus se reconnaissent comme des frères. Le point commun entre nous, c'est cet amour de Jésus. Et ce ne sont pas des idéologies comme on essaye de raconter, mais c'est cet amour, cet amour vrai, cet amour qui transforme notre nature de l'intérieur et qui nous met sur le chemin.
Nous sommes aujourd'hui dans un monde déchiré par des guerres, des nationalismes. Est-ce que vous avez aussi une certaine espérance que le pape élu est la personne qui pourrait mieux continuer la lutte pour la paix, ou encore continuer ce combat pour contrer les nationalismes qui fracturent de plus en plus le monde?
Le pape François l'avait très bien dit, notre monde d’aujourd'hui se caractérise par ce que lui a appelé la troisième guerre mondiale, mais par petits morceaux. C'est ça la réalité de notre monde. Il y a des conflits, il y a des tensions un peu partout. Nous avions voulu, en tant que collège des cardinaux un nouveau pape qui continue un peu sur le chemin du Pape François, à rappeler à la conscience de l'humanité que nous sommes tous des frères: Fratelli Tutti, comme lui a écrit; et que ça ne sert à rien de passer l'essentiel de notre temps à nous quereller, à nous battre, à nous entretuer alors que nous sommes tous des frères et sÅ“urs. Nous pensons que le nouveau pape qui vient d'être fraîchement élu, le pape Léon XIV, est dans cette ligne-là. Vous avez entendu ses premiers mots jeudi sur la paix, la nécessité de nous engager tous sur la voie de la paix. La paix n'est pas une donnée naturelle, nous devons travailler pour la construction de la paix. Ce n'est pas une donnée qui nous tombe comme ça sur la tête. Ça demande de notre part engagement et volonté, et aussi une bonne disposition intérieure de vouloir du bien aux autres. Et je crois que le nouveau pape nous aidera sur ce point-là. Je le dis particulièrement parce que sa culture, comme vous le savez, c'est quelqu'un qui est la synthèse de ce qu'on peut appeler le monde entier. Il est de grands parents, l'un venu de France, l'autre d'Italie et lui-même est américain, il a vécu au Pérou. Il a été supérieure générale de sa congrégation, l'Ordre de Saint-Augustin. En tant que supérieur général, il a sillonné le monde, il a visité l'Afrique, il a visité le Congo. Il y a encore de belles images de lui qui circulent sur les réseaux sociaux quand il était venu chez nous et tout ceci fait de lui un produit fini, de ce que nous pouvons appeler aujourd'hui: un citoyen du monde. Et là, je crois que ça lui donne un avantage réel pour regarder les conflits que traversent le monde d'aujourd'hui avec un certain recul et trouver aussi le langage nécessaire pour aller vers les belligérants et les exhorter à se réconcilier.
Vous l'avez souligné, le pape Léon XIV est un homme, une figure cosmopolite, dirait-on. Le nom d'un pontife romain est parfois déjà son programme de pontificat. Et Léon XIV évoque son prédécesseur du même nom Léon XIII, qui a écrit l'encyclique Rerum Novarum, l'encyclique sociale. Comment pensez-vous que ce pontificat pourra être orienté à partir de ce nom de Léon XIV?
La meilleure explication vient du pape lui-même. Je pense qu'en choisissant ce nom, il y a d'abord la référence au pape Léon XIII, qui est le premier pape à avoir écrit la première encyclique sociale Rerum Novarum. Cette encyclique traite justement des problèmes de société. Le nouveau pape, dans ses premiers mots, jeudi, a d’abord parlé de la paix. Comme Jésus ressuscité après sa résurrection, les premiers mots qu'il adresse à ses disciples après leur trahison, c'était: la paix soit avec vous.
Éminence, vous êtes président du SCEAM, le Symposium des Conférences épiscopales d'Afrique et Madagascar. Qu'est-ce que l'Afrique, comme continent, peut espérer de ce nouveau pontificat du Pape Léon XIV?
L’Afrique connait aujourd’hui beaucoup de problèmes, dont la pauvreté de ses peuples. Quand je regarde la réalité du continent, il y a quelques rares pays qui s'en tirent un peu bien. Mais globalement, beaucoup de pays africains sont en difficulté. Et à l'origine de ces difficultés, il y a le vivre ensemble qui fait problème. Non pas seulement entre nous Africains, mais aussi avec ceux qui viennent, les puissances extérieures qui viennent chez nous. Et le Pape François, avec le processus de synodalité, nous a déjà indiqué le chemin. La plupart de nos conflits en Afrique, les guerres telles que nous vivons actuellement au Soudan et au Soudan du Sud, à l'est de notre pays, la République démocratique du Congo, qui nous met en conflit avec le Rwanda, le rôle de l'Ouganda, l'intervention du Burundi, etc. Ça crée la confusion et c'est la population qui en souffre. Or, en revenant à la notion même de synodalité, nous pouvons nous regarder autrement, nous pouvons travailler autrement, nous pouvons nous tenir main dans la main et avancer ensemble dans l'intérêt de tout le monde. Je crois que pour nous, au niveau de l'Afrique, il serait important que le nouveau pape aille de l'avant avec le processus synodal qui peut être pour nous vraiment un tremplin pour résoudre la plupart de nos conflits en Afrique. Ça, c'est une chose. Je vois aussi que le pape Léon XIV est un homme qui est très sensible sur les questions financières et ici au niveau du Saint-Siège, il est dans beaucoup de commissions qui traitent des finances du Siège apostolique. Et c'est le Pape François, quand il a commencé la réforme de l'Église, qu'il considérait comme le mandat qu'il avait reçu du dernier conclave, a débuté d'abord par la réforme des finances du Saint-Siège. Ça signifie que dans un diocèse, dans une congrégation, dans une paroisse, si nous ne prenons pas au sérieux la question de la gestion matérielle, de la dimension économico-financière de notre apostolat, nous risquons de nous retrouver demain en difficulté. Même Jésus-Christ, tout fils de Dieu qu'il était, avait une base économique pour le groupe des apôtres, et ça a bien fonctionné. Cette caisse était confiée à un bon économe qui voulait bien suivre les dépenses. C'était Judas. Donc, nous aussi, dans nos diocèses, nous avons besoin de ça. Notre souhait, serait que le nouveau pape, en partant des réformes qui ont été entreprises ici au Saint-Siège, puisse aussi nous encourager dans nos diocèses, encourager les congrégations à mettre de l'ordre sur ce plan-là. Parce que nous ne serons jamais crédibles si nous ne sommes pas aussi transparents et vrais dans la gestion économico-financière.
Merci Éminence, quel est votre mot de la fin? Auriez-vous quelque chose à ajouter en lien avec l'élection de Léon XIV, en lien avec le nouveau Pape, et avec avec l'accueil de cette nouvelle en Afrique et particulièrement dans votre pays, la République démocratique du Congo?
Il y a un fait amusant. Après le conclave, parmi les messages qui me sont parvenus, j'ai vu sur les réseaux comment certains faisaient des commentaires par rapport à l'élection du nouveau Pape. Il y a un peu cette tendance à appliquer la logique du siècle sur le système de l'élection du successeur de Pierre. Il y en a qui disaient que le cardinal (Ambongo, ndlr) est parmi les candidats et il est sélectionné parmi les dix premiers. Ça ne fonctionne pas comme ça. Il n'y a pas de candidat. Tout cardinal peut être élu. Tout prêtre peut être élu. Alors, quand je vois ces réactions, je suis un peu triste de noter que certains ont même fait des commentaires en disant: nous sommes un peu tristes parce que ce n'est pas ce que nous avions souhaité. Bon, humainement parlant, je peux comprendre, mais je crois que nous devons surmonter ces considérations purement humaines. Le choix du successeur de Pierre se fait d'abord par l'Esprit Saint lui-même et les cardinaux quand ils se réunissent. Il n'y a personne qui réfléchit en termes de continent, d'appartenance à un groupe, de couleur de la peau. Mais nous voyons plutôt la gravité de la mission et notre devoir, en tant que cardinaux, à trouver la personne qui soit vraiment à la mesure des enjeux. Donc je demanderai tout simplement à tout le monde d'accueillir le nouveau Pape Léon XIV, comme nous avons toujours accueilli le Pape, un accueil franc, sincère, enthousiaste vis à vis du nouveau Pape qui est venu et qui connaît déjà notre réalité en Afrique. Priez pour lui parce que la mission n'est pas facile. Gouverner l'Église catholique, ce n’est pas comme être chef d’Etat d’un seul territoire. Le pasteur universel, le successeur de Pierre, doit toujours manÅ“uvrer pour répondre aux attentes de plus d'un milliard de catholiques de par le monde. Chacun avec ses traditions, ses goûts, ses différences. Arriver à trouver un équilibre n’est pas une tâche facile. Voilà pourquoi je demande à mes frères et sÅ“urs africains de prier pour le successeur de Pierre afin que le Seigneur lui donne la lumière, la grâce, la force intérieure de continuer son travail, qui est essentiellement la confirmation de tous les fidèles dans la foi. Le Pape est là pour confirmer les fidèles, mais en même temps, manifester cette miséricorde envers l'ensemble de l'humanité, pas seulement envers les catholiques, mais envers l'ensemble de l'humanité.
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