ÐÓMAPµ¼º½

Anwar Abu Eisheh lors de son intervention à Tonalestate. Anwar Abu Eisheh lors de son intervention à Tonalestate. 

Cisjordanie, vivre à Hébron et espérer une solution à deux États

Anwar Abu Eisheh, professeur et ancien ministre de l'Autorité nationale palestinienne, invité à l'événement Tonalestate, résume ce que signifie vivre aujourd'hui en Palestine, entre colons et soldats. Pour lui, «la fin de cette guerre et du conflit en général ne peut venir que du droit international, donc d'une pression internationale sur le gouvernement israélien».

Giada Aquilino – envoyée à Ponte di Legno

Professeur de droit à l'université Al-Qods de Hébron, en Cisjordanie, Anwar Abu Eisheh a été ministre de la Culture de l'Autorité nationale palestinienne de Mahmoud Abbas entre 2013 et 2014. S’adressant aux jeunes participants à la 26ème édition de l’événement Tonalestate 2025 (l'Université internationale d'été) qui a pris fin le 9 août dernier, il est revenu sur la situation en Palestine, partageant une histoire de résilience, de patience et d’optimisme, malgré le fait que Hébron soit de plus en plus sous l'emprise de l'armée et des colons israéliens, a-t-il affirmé. «Avec 250 000 habitants, la ville ne compte même pas 1 % d'espaces verts, tandis que la colonie la plus proche en compte 20 %. C'est le cas pour tout, de l'eau à l'électricité», a-t-il rapporté.

Comment est la vie en Cisjordanie?

La vieille ville d'Hébron couvre une superficie d'un kilomètre carré, soit la même superficie que la vieille ville de Jérusalem. Au moment de l'occupation israélienne en 1967, elle comptait 35 000 habitants et 15 000 autres dans ses environs. Mais en 1980, les colons israéliens sont arrivés et s'y sont installés. Ils ont occupé une école qui servait à accueillir les réfugiés palestiniens de 1948, ils ont confisqué une clinique où ma mère avait été soignée, la gare routière où mon père travaillait comme chauffeur sur la ligne entre Hébron et Jérusalem, ainsi que mon école primaire, qui est devenue une école religieuse juive. Ils ont commencé à obliger les habitants de la vieille ville à la quitter: en 1993-1994, au moment des accords d'Oslo, de très nombreuses maisons étaient abandonnées et il ne restait plus qu'un millier d'habitants.

Avec d'autres, nous avons longtemps travaillé pour essayer de réhabiliter la zone, et faire revenir les gens. Mais nous n'avons réussi à faire revenir que 3 000 à 4 000 personnes, qui ne sont toutefois pas restées. Entre-temps, en 1997, un accord, appelé accord d'Hébron, a été conclu entre l'OLP (l'Organisation de libération de la Palestine) et Israël, en vertu duquel l'armée israélienne a quitté Hébron. À partir de ce moment, la ville a été divisée en Hébron 1 et Hébron 2.

Dans la première, les Palestiniens vivaient en autonomie, dans la seconde, tout le pouvoir était entre les mains des Israéliens. En 2000, la deuxième, intifada, a éclaté, et deux ans plus tard, la distinction entre Hébron 1 et Hébron 2 a disparu, car l'armée a repris le contrôle de toute la ville. Maintenant, pour en venir à la question de l'eau, il faut dire que l'eau est un monopole d'Israël, il n'y a qu'une seule société qui gère toute l'eau d'Israël et de la Palestine. Selon l'accord d'Hébron, Israël aurait dû fournir à Hébron 28 000 mètres cubes d'eau par jour, mais ce chiffre n'a jamais été respecté, même pendant l'été: Israël fournit environ 12 000 mètres cubes par jour pour 250 000 habitants et, il y a deux mois, ce chiffre est tombé à 6 000 mètres cubes. Aujourd'hui, une sorte d’«industrie» de l'eau s'est développée, alimentée par les colonies, qui nous est facturée. Et concernant la liberté de circulation, il faut ajouter qu’en Cisjordanie, il existe au moins 800 postes de contrôle israéliens sur 2 000 km².

Comment la situation a-t-elle évolué entre "avant et après le 7 octobre 2023"?

Le changement réside dans l'implantation de nouvelles colonies, dans la destruction de nouvelles maisons palestiniennes, la fermeture d'innombrables puits et l'interdiction faite aux agriculteurs d'en exploiter. Avec l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir en Israël, la situation à Hébron a explosé et les agressions des colons se sont multipliées. Le 7 octobre a aggravé toute la situation. Je fais partie d'un comité de communication avec la société civile israélienne, fondé en 2014. Nous sommes allés dans les kibboutz, ou à Tel-Aviv. Beaucoup d'Israéliens que je connaissais et avec qui j’ai discuté ont radicalement changé d'attitude, à tel point que le dialogue et les rencontres ont cessé.

De plus, avant, je pouvais me rendre à Jérusalem sans demander la permission, car les personnes de plus de 55 ans pouvaient le faire: après le 7 octobre, cela n’a plus été possible, aucun Palestinien ne peut y entrer. Près de 200 000 ouvriers qui se rendaient chaque jour travailler en Israël se sont retrouvés sans emploi. Et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a également commencé à ne plus verser à l'Autorité palestinienne, l'argent destiné aux salaires de la population, bien que cela soit prévu par les accords d'Oslo. La situation s'est aggravée, les villes sont de fait fermées, tout est plus cher et la vie est devenue un enfer.

Vous avez fait remarquer aux participants à la conférence, qu'à Gaza, des gens meurent de faim. Ces derniers jours, nous avons entendu de nombreux dirigeants internationaux répéter des affirmations contradictoires et opposées les unes aux autres sur la famine à Gaza. Que répondre à cela?

La réponse est très simple. Israël a interdit l’accès à Gaza à tous les journalistes étrangers: il suffirait simplement de laisser entrer les reporters pour qu'ils puissent en témoigner. Il existe déjà de nombreux témoignages fiables provenant d'ONG internationales, telles que Médecins sans frontières, et de professionnels de santé américains, britanniques et français. Dans les vidéos, les personnes qui meurent de faim sautent aux yeux. Le président américain Donald Trump l'a également déclaré. Gaza est une zone encerclée depuis 2007, avec une population enfermée à l'intérieur, et l'armée israélienne à toutes les frontières. Ils avaient dit avoir calculé le nombre de calories quotidiennes dont un habitant de Gaza avait besoin, environ 3 000, et avant le 7 octobre, ils ne laissaient entrer que ces denrées. Après cette date, tout a été interdit ou limité. Mais toutes les institutions internationales s'accordent à confirmer que la famine est malheureusement bien réelle.

Récemment, le débat sur la reconnaissance de l'État palestinien a été relancé, la France ayant annoncé qu'elle le reconnaîtrait en septembre, à l'instar d'autres États. Le secrétaire d'État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, a rappelé que le Saint-Siège l'avait déjà fait depuis longtemps. Quelle est l'importance de cette étape pour la paix?

Nous pensons que la fin de cette guerre et du conflit en général ne peut venir que du droit international, donc d'une pression internationale sur le gouvernement israélien. La France et les autres États ont un intérêt dans cette reconnaissance: l'opinion publique, l'instabilité, les migrations, la compréhension entre les peuples. Nous savons que le rapport de force actuel ne changera pas les choses, mais c'est néanmoins un pas en avant pour parvenir à une solution à deux États et, en ce qui concerne l'État palestinien, nous souhaitons qu'il soit laïc et démocratique.

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

11 août 2025, 09:38