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Fidèles en prière pour célébrer la canonisation «du geek de Dieu», à la paroisse saint Carlo Acutis de São Paulo, au Brésil, le 7 septembre 2025. Fidèles en prière pour célébrer la canonisation «du geek de Dieu», à la paroisse saint Carlo Acutis de São Paulo, au Brésil, le 7 septembre 2025.  

Carlo Acutis, l’Évangile en baskets et sur tablette, être saint au 3e millénaire

Une sainteté ordinaire vécue dans la radicalité des vertus évangéliques. La canonisation de Carlo Acutis oppose au 3e millénaire bruyant et narcissique la simplicité de la joie et de l’effacement de soi, ancrés dans un quotidien «abordable à tous». Entretien avec l’anthropologue et ethnologue des religions Alfonsina Bellio.

Delphine Allaire – Cité du Vatican

Les parents, le frère et la sÅ“ur de Carlo Acutis ont assisté à sa canonisation devant 80 000 personnes, place Saint-Pierre, dimanche 7 septembre. L’adolescent décédé d’une leucémie foudroyante il y a 19 ans, à l’âge de 15 ans seulement, rejoint le ciel des saints catholiques, devenant le premier millenial d'entre eux. Un modèle de sainteté juvénile ancré dans le siècle, qui se perçoit à partir du code vestimentaire -premier saint «en jeans et en baskets»- et de sa pratique numérique. «Un jeune parmi nos jeunes», explique Alfonsina Bellio. Directrice d'études en charge de l’ethnologie religieuse de l'Occident contemporain, à l'École Pratique des Hautes Études (EPHE), elle comprend cette canonisation, en termes de sociologie religieuse, comme une étape majeure des futures orientations pastorales de l'Église.

Carlo Acutis est le premier millenial canonisé. Que changent ses attributs contemporains à notre perception de la sainteté?

L'une des premières statues de Carlo Acutis dans le monde francophone, en Belgique, présente deux caractéristiques. Il est représenté comme un adolescent en jean baskets, dans ses mains, d'un côté une tablette, de l'autre l'ostensoir. Un chapelet dépasse de sa poche. Cette statue réalisée par impression 3D est un message aux jeunes de notre époque. Mais il ne faut pas oublier que la sainteté juvénile, «cet extraordinaire qui habite l'ordinaire», n'a pas commencé avec la canonisation de Carlo Acutis. Dès le XXe siècle, l’Église a manifesté une grande attention à ces vies de jeunes affectées par la grâce. Le message de l'Église contemporaine est de montrer que tout le monde peut devenir saint. Les canonisations de Carlos Acutis et Pier Giorgio Frassati sont à lire dans ce cadre. L'Église met désormais plus l'accent sur l'ordinaire, sur les vertus évangéliques vécues au quotidien, que sur cette quête du miraculeux qui parfois peut privilégier une dimension surnaturelle au lieu de la volonté d’ancrer l'Évangile dans le quotidien.

 

Ce caractère concret, incarné et ancré dans le réel qui émane de la sainteté de Carlo Acutis, est-il une des réponses de l’Église à un monde «virtuel trop virtuel»?

Il y a de cela, mais c’est aussi le fait que l’Église se rajeunit elle-même. Elle se présente elle-même en jean et en baskets, capable de vivre un quotidien qui n'est plus celui d'un transcendant éloigné des sociétés. C'est un transcendant qui s'incarne au quotidien, qui se fait miroir de temps complexes pour la religion catholique, à l’heure où surgissent des nouvelles tendances hybrides. C’est donc bien un élément d'incarnation dans le quotidien, le corporel, la matière, mais également une Église qui, avec ses baskets de Carlo Acutis, court dans son temps.

Que signifie cette exceptionnelle dévotion populaire dont il fait l’objet?

Déjà les saints du XXe siècle, et maintenant du XXIe, ont bénéficié d'un succès incroyable lié à la diffusion numérique et à la multiplication de la communication. Pensons par exemple à Padre Pio qui a vu son culte se diffuser partout dans le monde aussi par un effet de médiatisation. Le numérique accentue cette possibilité de partage, de diffusion très rapide, exponentielle. Une paroisse de Chicago, la ville natale du Pape, porte déjà le nom des deux jeunes saints canonisés ce dimanche. Ce sont des effets sociétaux importants qui montrent que le numérique, les réseaux sociaux, la communication, sont fondamentaux dans la manière de vivre la foi de nos jours.

Que nous enseigne Carlo Acutis, surnommé «le cyber-apôtre», sur la manière d’être présent au monde numérique? De quelle anthropologie catholique du numérique serait-il porteur?

C’était un jeune très compétent, passionné d'informatique, qui avait lui-même réalisé une exposition virtuelle qui existe encore sur les miracles eucharistiques. Internet et les réseaux sociaux sont ambivalents, ambigus, et peuvent mener dans deux directions différentes et opposées. Le message que Carlo Acutis incarne et que l'Église lui attribue, est celui de bien choisir le chemin qui utilise le numérique, sans se faire utiliser par le numérique. Pensons à l’une de ses phrases les plus citées: «Nous sommes tous des originaux, mais nous risquons de devenir des photocopies». Par l'Évangile, par cette incarnation de la parole, il s’agit de ne pas succomber aux tendances de la mode. Dans ce monde d'influenceurs, de blogueurs, la mission de Carlo Acutis est de recourir au médium numérique à des fins qui élèvent vers la spiritualité.

Carlo Acutis comme de nombreux autres jeunes saints nous enseigne aussi à vivre la douleur dans la joie et dans l'effacement de soi. C'est un élément très important. Parmi les phrases de Carlo Acutis qui sont devenues des véritables slogans, il y a «pas moi, mais Dieu». En italien avec le rythme poétique, c'est encore plus fort: «Non io ma Dio». Il remet Dieu et la foi au cÅ“ur de la vie, mais attention, au cÅ“ur de la vie d'un jeune millenial, avec ses baskets, sa tablette, ses compétences informatiques, avec toute sa vie quotidienne proposée comme modèle aux adolescents. Dans un monde où nous sommes de plus en plus confrontés à des modèles narcissiques, esthétisants, très sexualisés, parce que c'est aussi cela la présence des jeunes aujourd’hui sur les réseaux sociaux, Carlo Acutis propose la simplicité et une vie vécue sans ce bruit qui efface le chemin de vérité. Il utilise le même médium, mais avec une tout autre finalité.

Que cherche l’Église en valorisant des modèles de sainteté juvénile?

Il ne faut pas penser à la canonisation de Carlo Acutis comme un événement uniquement extraordinaire, parce qu’elle fait partie d'une attention que l'Église catholique porte aux figures de jeunes depuis longtemps. Jean-Paul II, le jour de son élection, s'adressait aux jeunes et a ensuite inauguré les Journées mondiales de la jeunesse. A partir des mouvements de sécularisation, de déchristianisation, l’Église a été confrontée à des situations d'éloignement des fidèles et à des situations de baisse de la pratique. Donc l'idée «de se rajeunir» est aussi celle d'offrir un rempart, de trouver un chemin différent par rapport à cette dissolution de la foi et de l'institution à laquelle le XXe siècle nous a fait assister. C'est une tendance centripète face à toutes ces formes d'hybridation culturelle, à ce qui est défini comme les nouveaux mouvements religieux, à tout ce qui éloigne les nouvelles générations de l'Église, et donc la société de l'Église. Les Papes les plus récents l’ont bien compris et l'Église demande à nouveau de s'ancrer dans la société, en commençant par les jeunes qui en sont l’avenir. 

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08 septembre 2025, 17:48