Pour l'¨¦v¨ºque de Cayenne, l'?vangile produit des effets sociaux en Amazonie
Delphine Allaire - Cité du Vatican
Quelle a été l¡¯importance de cette première grande rencontre épiscopale amazonienne depuis le Synode pour l¡¯Amazonie de 2019? Quels défis communs sont apparus?
Le premier objectif était de se connaitre et de se découvrir. Il était très intéressant de rencontrer les collègues brésiliens et ceux qui bordent le territoire guyanais afin de voir comment l¡¯on va pouvoir travailler et collaborer, surtout entre diocèses frontaliers des trois Guyanes. Nous avons souvent affaire aux mêmes peuples qui passent d'un côté ou de l'autre du fleuve, des fleuves qui marquent les séparations des pays, car les Guyanes sont des terres d'eaux, et nos frontières sont généralement des fleuves. Deuxièmement, nous traitons des problématiques communes: l'orpaillage illégal, la dégradation de l'environnement amazonien avec le mercure qui pollue non seulement les rivières, mais qui entraîne des effets très négatifs sur les populations puisqu'elles se nourrissent notamment des poissons des fleuves. Et quand ces poissons ont absorbé le mercure, au bout de la chaîne alimentaire, il y a les personnes, et notamment les enfants. Cela donne des déformations, empêche leur développement intellectuel et physique. Cela peut aussi avoir des conséquences nocives et déplorables au niveau de la mortalité. Outre cette exploitation illégale, l¡¯Amazonie est aussi le lieu de tous les trafics: traite humaine, prostitution, déplacement forcé des populations qui se réfugient aux abords des villes et deviennent la proie des trafiquants de drogue. Il était intéressant de voir ensemble, en tant qu¡¯Église, quelle attitude adopter vis-à-vis de ces maux.
Comment répondre aux difficultés religieuses et pastorales en des lieux reculés?
Le cri des communautés autochtones, dispersées et isolées sur les différents fleuves, a suscité l'attention des évêques et a entraîné cette mobilisation, notamment la volonté de mettre en place la conférence ecclésiale amazonienne. 70?000 d¡¯entre eux vivent encore de leur vie communautaire et traditionnelle dans de très nombreux villages sur les bords des fleuves. On ne voit le prêtre qu¡¯une fois, peut-être tous les deux mois ou tous les mois, selon les lieux. Sans cette présence permanente, les communautés sont affaiblies. Elles ne peuvent pas devenir matures, ni fortes, si le prêtre n'est qu'un visiteur. Tandis que les sectes ne se privent pas de notre absence pour occuper le terrain. Il nous faut davantage être présent auprès des populations et former des catéchistes qui puissent être présence d'Église dans ces communautés éloignées et isolées. Sur cette question de la formation, la CEAMA a mis en place un centre de formation pour les peuples autochtones.
Comment recevez-vous les paroles du Pape Léon XIV invitant les évêques «à annoncer l¡¯Évangile avec clarté et charité» aux habitants de l¡¯Amazonie?
Lorsqu'on est devant de grosses détresses, des situations intolérables sur le plan humanitaire, parfois l¡¯on peut perdre de vue que ce dont les gens ont besoin le plus, c'est de l'Évangile, de l'annonce de Jésus-Christ. Et le Saint-Père l'a très bien compris en disant que finalement, c'est d'abord l'Évangile qui va ensuite obtenir des effets sociaux, et pas l'inverse. Parfois on prend les choses dans le mauvais sens en pensant que c'est de la promotion humaine, du social qui va entraîner ensuite une évangélisation. Ce n¡¯est pas complètement faux, mais ce n'est pas vrai non plus. Une fois que l'on a traité les besoins immédiats, l'Évangile est la chose la plus importante. C'est la véritable nourriture. Le Pape le dit en parlant «du pain frais et pur de la Bonne Nouvelle et de la nourriture céleste de l'Eucharistie également». Jésus dit: «Ma chair, c¡¯est la vraie nourriture». Les gens ont besoin avant tout de la chair du Christ, du pain frais de la Parole et du pain eucharistique.
C'est absolument fondamental car du fait de l¡¯indignation face aux injustices et du fait de la compassion qui nous remplit, on peut inverser les choses. Le Saint-Père a eu parfaitement raison de le redire: attention, c'est un défi spirituel. Ne perdons pas de vue que nous sommes d'abord en charge d¡¯une bonne nouvelle, nous ne sommes pas une ONG de plus, comme le disait le Pape François.
La grande majorité des évêques de la CEAMA a bien perçu ce message, a bien compris que la tradition de l'Église est extrêmement riche avec 2 000 ans d'expérience. Nous pouvons répondre aux défis de l'inculturation des peuples amazoniens dans le respect de la tradition de l'Église, pas en inventant un nouvel évangile, ni en faisant des choses qui ne sont pas conformes aux traditions de l'Église. Léon XIV nous a bien indiqué la route, l'annonce claire dans la charité, avec une immense charité. Comme disait l'apôtre Paul, la foi s'exprime dans la charité. On parle parfois de conversion, de passer d'une conversion individuelle à une conversion sociale. Oui, à condition que l'on ne fasse pas l'impasse sur la conversion individuelle. Parler d'une conversion communautaire indépendamment d'une conversion individuelle me paraît extrêmement dangereux. Je crois que le Saint-Père l'a très bien dit et exprimé dans sa lettre.
Le Pape met aussi en garde contre l¡¯écueil d¡¯adorer ou d¡¯être esclave de la nature. Comment comprenez-vous cette phrase?
Nous sommes responsables vis-à-vis de la Maison commune. Il faut tout faire pour la préserver, parce que nous n'en avons qu'une, et il ne faut pas laisser à nos descendants une terre dévastée, et inhabitable et inhospitalière. Il faut que l'on se batte pour cela. La COP30 qui arrive sera le lieu également de se battre pour neutraliser autant que l'on peut les effets négatifs du développement humain, de la modernité. Mais, le Saint-Père le dit, attention à ne pas renverser les choses de telle sorte que, en définitive, finalement, la nature devienne finalement un en-soi et quelque part une idole. Attention à ne pas considérer l'Amazonie ou tout autre territoire de la planète comme un lieu sacré, un lieu qui serait une espèce de divinité. Il ne veut pas que nous soyons, je le cite, esclaves ou adorateurs de la nature.
C¡¯est une pente dans laquelle pas mal de nos contemporains tombent aujourd¡¯hui. Vous avez des gens qui seraient presque prêts à sacrifier l'humanité pour la préservation de l'environnement. Ce n¡¯est pas l¡¯approche d'écologie intégrale, prônée d¡¯abord par Benoit XVI, puis par François. Il ne faut pas perdre de vue que notre terre est un écrin dans lequel l'homme est un joyau. L¡¯Homme est la seule créature que Dieu a voulue pour elle-même. C'est pour les hommes et les femmes que Dieu a créé cet univers dans lequel nous sommes. Même si encore une fois, le Pape François l'avait bien dit dans sa belle encyclique Laudato si¡¯, d'une façon imagée, on peut dire que tous les éléments de la nature sont des frères et des s?urs. Néanmoins, c'est d'une façon analogique, d'une façon imagée et poétique, ce n'est pas la réalité. Il est bien évident que l'être humain est un être transcendant, créé à l'image de Dieu, et il est le seul, la seule créature créée dans le monde matériel qui soit à l'image de Dieu. L¡¯homme et la femme sont le sommet de la création. Donc il faut préserver l¡¯environnement pour l'homme et pour notamment les générations qui vont nous suivre. C'est un enjeu éthique et un devoir moral.
Mais à aucun moment nous ne devons nous muer en adorateurs de la nature. Le livre de la Genèse a fait beaucoup d'efforts pour dire attention, à une époque où on adorait le soleil, on adorait la lune, on les considérait comme des divinités. Le livre de la Genèse a traité le soleil, la lune et les étoiles comme de simples luminaires pour dire que ce sont de simples créatures et non des divinités. Il ne faudrait pas régresser à une époque pré-Ancien Testament.
La préservation de l¡¯Amazonie culminera diplomatiquement à la COP30 de Belém, à un millier de kilomètres de Cayenne. De quelle façon abordez-vous cet événement?
C'est un endroit particulier puisque Belém se trouve en Amazonie, lieu crucial pour la survie de la planète, avec les forêts africaines de la région du Congo et celles d¡¯Asie du Sud-Est. Ce sont les poumons de la planète. Il y a un enjeu-clé au fait que cela se tienne à cet endroit. La question du changement climatique est une réalité que tout le monde constate: les canicules de plus en plus longues en Europe, des cultures qui montent plus au nord, des animaux qui migrent plus au nord. Il faut donc des puits de carbone, récupérer ce carbone autant que faire se peut, pour éviter un emballement complet du climat avec des conséquences dramatiques en termes de vies humaines. Le choix de la ville de Belém est en cela un marqueur important. J'espère qu¡¯il va jouer dans les débats, dans les conclusions et dans les décisions qui seront prises. J'ai bon espoir. L'Église va s¡¯impliquer avec le CEAMA, le Repam et les évêques brésiliens, sans compter l¡¯envoyé du Saint-Père.
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