S?ur Mary Lembo: ?Parlez des abus, m¨ºme si ce n'est pas facile?
Anne Preckel - Cité du Vatican
Mary Lembo a étudié le phénomène des abus de femmes religieuses par des prêtres en Afrique. Elle a rédigé un doctorat sur le sujet, impliquant des victimes de cinq pays africains. Elle ne quantifie pas cependant l'ampleur du phénomène sur le continent, «parce qu'il n'y a pas de recherche précise sur le sujet». En revanche, elle relève que ces abus sont une «réalité» et qu¡¯ils doivent être traités: «C'est un problème pour lequel il faut aider, encourager les femmes à se manifester et à en parler ou à dénoncer si nécessaire. Même si ce n'est pas facile».
Un encouragement
Lorsqu'elle achève ses recherches en 2019, le sujet en Afrique est une réalité taboue. Dans ce contexte, la religieuse psychologue s¡¯est trouvée rassurée par les propos du Pape François tenus publiquement pour la première fois. «J'étais presque au bout du rouleau, ce n'était pas facile d'en parler. Ses paroles m'ont donc encouragé à continuer. Ces abus sont une réalité que nous devons affronter dans l'Église, afin que l'Église vive dans la vérité».
En février 2019, le premier sommet international sur la protection des enfants s'est tenu au Vatican. Peu après, le Pape François a publié une nouvelle réglementation pour lutter contre les abus sexuels sur les mineurs et les personnes vulnérables. Dans le document ¡°Vos estis lux mundi¡±, l¡¯expression «personne vulnérable» inclut également les adultes dont la capacité volitive ou «de résister à l'offense» est limitée.
Une réalité cachée
Il a fallu des années à s?ur Lembo pour trouver un nombre suffisant de victimes afin de progresser dans ses recherches; des victimes prêtes à parler de leurs expériences. Non pas parce que les «survivantes» sont peu nombreuses. Mais parce que la peur et la honte empêchent beaucoup d'entre elles de se confier. Dans l'Église et dans les sociétés africaines, la sexualité n'est pratiquement jamais abordée. Pour les «religieuses consacrées à Dieu et considérées comme des saintes», le sujet est un grave et double tabou, dit la s?ur togolaise.
À la demande des personnes concernées, Mary Lembo n'a pas mentionné les noms ou les pays d'origine des religieuses abusées: «Elles avaient peur de ce qui allait leur arriver, à elles, à leur famille, à leur congrégation et même à leur communauté. En me parlant, elles ont tout risqué pour aider d'autres femmes. Donc pas de noms, je dois les respecter».
Comprendre le contexte
Au cours des entretiens, s?ur Lembo a entendu parler de «différents types d'abus liés à l'accompagnement spirituel»: cela commence souvent par un abus de pouvoir, «parce qu'il y a une relation asymétrique entre la personne qui conseille et la personne qui demande un accompagnement spirituel ou une confession». Certains prêtres ont également exploité la dépendance économique des religieuses «pour faire pression, établir ou forcer des contacts sexuels». Les victimes ont également parlé à la psychologue d'abus physiques et spirituels.
S?ur Lembo insiste ensuite sur un point important: aucune des religieuses concernées n'avait l'intention de violer ses v?ux. Les abuseurs exercent souvent une pression psychologique sur leurs victimes, manipulent ou outrepassent leur volonté: dans de telles circonstances, non seulement les enfants, mais aussi les adultes, en particulier dans des conditions fragiles, peuvent devenir des victimes. L'exploitation de la main d'?uvre et la dépendance des religieuses à l'égard des prêtres favorisent également ce phénomène.
Par son travail de sensibilisation, s?ur Lembo veut contribuer à améliorer la formation des séminaristes et des religieuses. Car lorsque les circonstances de l'abus sont connues, il est possible de les changer.
Des signaux positifs
Parler de ce sujet en Afrique aujourd'hui est déjà moins compliqué qu'il y a quelques années, ajoute s?ur Mary. D'autres religieuses africaines ont également commencé à aborder le sujet dans le débat ecclésiastique, qui commence à s'ouvrir. Récemment, la Confédération des conférences des supérieur(e)s majeur(e)s d'Afrique et de Madagascar (COSMAM), en Zambie, a appelé l'Église africaine à intervenir sur la question avec transparence et justice.
En outre, cette année, pour la première fois, des membres des ordres religieux féminins africains ont été invitées à représenter directement leurs intérêts à l'assemblée générale du Symposium des conférences épiscopales d'Afrique et de Madagascar (SCEAM).
Ces dernières années, de nombreuses conférences épiscopales africaines ont publié ou renforcé des lignes directrices pour la protection des mineurs et sensibilisent les prêtres ainsi que les agents pastoraux à la question des abus. Il s'agit là d'une bonne base pour prendre des mesures contre les abus. «Nous devons aller de l'avant et soutenir toutes les mesures prises par l'Église dans le domaine de la potection», déclare s?ur Lembo.
Un processus irréversible
Au Vatican, la question a été abordée lors du Synode sur la synodalité en octobre 2024. Le synode a appelé à une meilleure protection des religieuses contre les abus. En ce qui concerne les abus spirituels, le dicastère pour la Doctrine de la foi a mis en place un groupe de travail chargé de les examiner en qualité de crimes ecclésiastiques. Pour s?ur Mary Lembo, le traitement de cette question est un processus irréversible, «afin que l'Église vive dans la vérité».
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester inform¨¦, inscrivez-vous ¨¤ la lettre d¡¯information en cliquant ici