L¨¦on XIV souhaite ancrer une culture contre les abus gr?ce aux chercheurs de v¨¦rit¨¦
Salvatore Cernuzio ¨C Cité du Vatican
Une femme, son courage contre les abus et la corruption, un témoignage pour le monde et pour l'Église, un soutien à la liberté de la presse ¨C car museler les journalistes, c'est mettre en péril la démocratie d'un pays ¨C, mais surtout un appel: «Enraciner dans toute l'Église une culture de prévention qui ne tolère aucune forme d'abus: ni de pouvoir ou d'autorité, ni de conscience ou de spiritualité, ni d'abus sexuel»; tel est le contenu du message du Pape Léon XIV lu au Pérou le 20 juin au soir lors de la représentation de la pièce «Proyecto Ugaz».
La réalité inspire la fiction qui amplifie le travail journalistique célébré et encouragé également par le Pape. Tout se passe entre Rome et Lima, où, au Théâtre Plaza, du 3 au 29 juin, on joue «Proyecto Ugaz», une pièce qui compte parmi ses principaux spectateurs (bien qu'à distance) le Pape Léon XIV, qui a tenu à envoyer un message pour réaffirmer l'importance des deux thématiques centrales de toute la pièce: la lutte contre les abus et l'importance d'un journalisme au service de la vérité et de la liberté.
«Proyecto Ugaz» est en effet dédié à Paola Ugaz, connue dans ce pays d'Amérique du Sud pour son travail d'enquête contre l'un des mouvements les plus puissants de toute l'Amérique latine dans le passé, le Sodalicio de Vida Cristiana, plus communément appelé «Sodalicio». Ce mouvement a été supprimé par le Pape François le 14 avril dernier, dans l'un de ses derniers actes de gouvernement, en raison des cas d'abus de différentes natures et de corruption en son sein -à commencer par ses dirigeants et son fondateur Luis Figari- qui, après une enquête approfondie menée par le Saint-Siège, ont mis en évidence le «manque de charisme fondateur».
Paola Ugaz a été l'une des premières à lancer l'alerte contre un mouvement gigantesque et ramifié. Elle l'a fait lorsqu'elle a signé en 2015, avec son collègue Pedro Salinas, un livre rassemblant des témoignages de victimes. Ces pages ont donné lieu à plusieurs mesures de la part du parquet péruvien et à des enquêtes internes au sein même de Sodalicio, jusqu'à l'intervention du Pape François, qui a toujours accordé une grande attention à cette affaire. Ces mêmes pages ont toutefois coûté à la femme des années de plaintes, de persécutions, d'attaques dans sa vie privée et professionnelle, notamment via les réseaux sociaux. En novembre 2022, Paola Ugaz avait en effet demandé aide et protection pour elle-même et trois autres journalistes au Pape argentin, qui les a tous reçus début décembre 2024, encourageant également leur travail.
Ce soutien continue se renforce encore davantage aujourd'hui avec le Pape Léon XIV, qui connaît parfaitement la réalité péruvienne et l'affaire Sodalicio, ainsi que le travail de Paola Ugaz, elle-même, rencontrée en mai lors de la première audience accordée aux représentants des médias qui ont travaillé pendant le conclave (la rencontre a notamment été immortalisée par une photo la montrant remettre au Souverain pontife une écharpe artisanale des Andes péruviennes). C'est précisément à cette audience, quatre jours après son élection, que le Pape fait référence dans son message, lu au théâtre par Mgr Jordi Bertomeu, official du dicastère pour la Doctrine de la foi, commissaire apostolique au Pérou pour l'affaire Sodalicio, en présence d'autres journalistes et victimes du mouvement présents dans le public.
Mais avant cela, le Souverain pontife a tenu à dire trois fois merci. Tout d'abord, à ceux qui ont conçu et réalisé le «Proyecto Ugaz», qui n'est pas seulement du théâtre, mais une «mémoire, une dénonciation et, surtout, un acte de justice», donnant «une voix et un visage à une douleur trop longtemps passée sous silence». Grâce à ce spectacle, «les victimes de la défunte famille spirituelle de Sodalicio et les journalistes qui les ont accompagnées ¨Cavec courage, patience et fidélité à la vérité¨C illuminent le visage blessé mais plein d'espérance de l'Église», écrit le Pape. «Votre combat pour la justice est aussi celui de l'Église», ajoute-t-il, car «une foi qui ne touche pas les blessures du corps et de l'âme humaine est une foi qui n'a pas encore connu l'Évangile».
Le Pape Léon a adressé un autre remerciement à tous ceux qui ont persévéré dans cette cause, «même lorsqu'ils ont été ignorés, disqualifiés ou même poursuivis en justice». Il a cité à cet égard la Lettre au peuple de Dieu d'août 2018, rédigée par le Pape François après son difficile voyage au Chili et sa rencontre avec les victimes d'abus: «La douleur des victimes et de leurs familles est aussi notre douleur, et il est donc urgent de réaffirmer notre engagement à garantir la protection des mineurs et des adultes vulnérables». Léon XIV fait sien l'appel de son prédécesseur qui, dans la même lettre, parlant de la différence entre «criminalité et corruption», invitait tout le monde à «une profonde conversion ecclésiale». Celle-ci «n'est pas rhétorique, mais un chemin concret d'humilité, de vérité et de réparation», souligne le Pape, ajoutant que «la prévention et la guérison ne sont pas une stratégie pastorale: elles sont au c?ur de l'Évangile».
Enfin, troisième remercîment, le Souverain pontife adresse sa plus profonde gratitude à Paola elle-même «pour le courage dont elle a fait preuve en s'adressant au Pape François le 10 novembre 2022 et en demandant protection contre les attaques injustes dont elle et trois autres journalistes, Pedro Salinas, Daniel Yovera et Patricia Lachira, ont été victimes pour avoir dénoncé les abus commis par un groupe ecclésial basé dans différents pays mais originaire du Pérou».
Les propos adressées aux médias le 12 mai résonnent encore: il ne s'agit pas d'un «salut formel» ¨Cc'est le Souverain pontife lui-même qui l'écrit¨C mais d'une «réaffirmation de la mission sacrée de ceux qui, à travers leur profession de journaliste, deviennent des ponts entre les faits et la conscience des personnes. Même face à de grandes difficultés».
À travers un texte écrit et lu pendant la représentation, le Pape Léon fait donc entendre sa voix, forte, imprégnée d'«inquiétude et d'espérance», pour le peuple péruvien, son «cher» peuple d'adoption: «En cette période de profondes tensions institutionnelles et sociales, défendre un journalisme libre et éthique n'est pas seulement un acte de justice, mais un devoir pour tous ceux qui aspirent à une démocratie forte et participative».
Dans son message, le Pape s'est adressé aux autorités péruviennes elles-mêmes, ainsi qu'à la société civile et à chaque citoyen, afin qu'ils protègent ceux qui, dans les radios communautaires jusqu¡¯aux médias traditionnels, des zones rurales à la capitale, racontent la réalité «avec intégrité et courage».
«La liberté de la presse est un bien commun inaliénable. Ceux qui exercent consciencieusement cette vocation ne peuvent voir leur voix réduite au silence par des intérêts mesquins ou par la peur de la vérité», affirme le Souverain pontife. Il laisse un message empreint d'«affection pastorale» à tous les communicateurs péruviens: «N'ayez pas peur», écrit-il, «à travers votre travail, vous pouvez être des artisans de paix, d'unité et de dialogue social. Soyez des semeurs de lumière dans les ténèbres».
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