«La foi apporte la liberté»: entretien avec l’aumônier des parlementaires français
Entretien réalisé par Alexandra Sirgant – Cité du Vatican
Une délégation de quarante personnes, composée de plusieurs élus, du président de la Conférence des évêques de France, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, et de l’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, est à Rome pour participer au jubilé des pouvoirs publics. Ils ont été reçus en audience par le Pape Léon XIV ce samedi 21 juin au matin. Parmi eux, le père Marc Lambret, aumônier des parlementaires français depuis 2018. Curé de la paroisse Sainte-Clothilde, située à deux pas de l’Assemblée nationale, le prêtre parisien nous a expliqué la charge de son ministère et ses réflexions sur la place de la religion dans l’hémicycle républicain.
En quoi est-ce que cela consiste d’être aumônier des parlementaires, notamment dans un pays comme la France où la religion n’a pas forcément sa place dans la sphère politique?
C'est être plus comme l'aumônier d'un lycée public quelconque, que comme une fonction qui serait reconnue par l'institution. D'ailleurs, les aumôniers d'hôpitaux, de prisons ou militaires se sentent beaucoup plus reconnus par l'institution que l'aumônier des parlementaires qui, dans notre pays laïc, est évidemment une réalité qui sent le soufre, si j’ose dire. J'ai cette position de quelqu'un qui a une belle maison, où l'on fait plein de choses très intéressantes, et qui invite ceux qui le souhaitent à venir. C'est beaucoup une pastorale «de la table» car j'invite à des petits-déjeuners, des déjeuners en privé, en groupe, les élus à discuter autour d'un thème avec un intervenant, mais aussi à des messes et à des pèlerinages. Et donc, je vois quand même beaucoup de parlementaires. Certains de façon très ponctuelle, très occasionnelle, et d'autres de façon assez habituelle.
Tous les mercredis à 8h00 je célèbre la messe dans la chapelle de Jésus-Enfant. Elle est ouverte aux parlementaires, du moins à ceux qui arrivent à dégager ce créneau dans leur emploi du temps. Il y en a qui sont assez réguliers, voire très réguliers, et ils bénéficient de cette messe avant de partir au «combat».
Vous recevez donc régulièrement des parlementaires dans ce qui semble être un lieu d'écoute. Est-ce qu'ils viennent parfois vous chercher pour vous partager leurs interrogations, leurs réflexions sur les sujets qu'ils traitent ensuite dans l'hémicycle?
Oui, nous pouvons nouer des relations proches, amicales même, et donc des relations de confiance, cela diffère évidemment selon les personnes. Mais c'est sûr qu'il y a une proximité qui s'établit avec certains, et donc, cela leur arrive de prendre l'initiative de me consulter sur des sujets ou de me faire part de quelque chose. On pense d’abord à des questions pour éclairer sa conscience sur des dossiers qui sont sensibles, en particulier les lois sociétales, mais cela peut être autre chose, sur des projets politiques par exemple.
Sinon, je prends aussi l'initiative d'inviter régulièrement en tête à tête les uns ou les autres, de toutes les couleurs politiques, pour toutes sortes de raisons. Et ces rencontres en tête à tête peuvent avoir une tonalité, une qualité très différente selon les personnes, leurs attentes et la façon dont cela prend entre nous. Mais c’est souvent l'occasion d'échanges profonds et en vérité.
Ces derniers mois, ces réflexions sont-elles plus nombreuses ou d’une nature différente, dans un contexte politique compliqué depuis un an maintenant en France, notamment avec la dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier et la montée des extrêmes?
La crise, on peut le dire, de la vie politique française depuis quelques années affecte en premier lieu l'Assemblée nationale. Elle donne lieu à des situations de crise et d'incertitude. Beaucoup sont perturbés, voire désemparés. C'est vrai. Cela crée des situations de fragilité qui sont normalement propices à des recherches d'appuis ou d'aide.
Mais en fait, l'évolution la plus forte à l'Ĺ“uvre, c'est une évolution de laïcisation, c'est à dire d'une idée de la laïcité qui n'est pas de combat ni de confiance mais une laïcité d'indifférence. C'est un consensus qui gagne plus encore la classe politique que les parlementaires eux-mêmes. Il y a donc cette idée qu'il faut séparer ses fonctions, ses missions politiques et ses idées politiques de la religion en général, et en particulier de l'Église catholique, car l'Église catholique est réputée pour avoir des positions réactionnaires.
En fait, les politiques sont pris par un feu croisé car, de plus en plus dans la société, les personnes qui revendiquent ouvertement d'être catholiques sont, le plus souvent, de droite et conservatrice, bien que les instances officielles de l'Église soient plus équilibrées.
Et puis d'un autre côté, je pense que la majorité de nos concitoyens sont en réalité très ouverts et intéressés. Ils sont ouverts à l'Église catholique et intéressés par ce que nous avons à dire et même par la foi. Mais, ils sont très prudents, et ça, c'est nécessaire. Mais donc, eux, les parlementaires sont pris entre deux feux.
S'il y a une composante catholique "engagée", c'est forcément du côté d'une droite décomplexée, c'est à dire en fait offensive. Elle est prise en tenaille par un camp peu nombreux, mais très résolus et organisés de laïcistes pour qui, au contraire, de toute façon, l'Église est une réalité toxique en soi. Ces derniers sont sur le qui-vive contre tout ce qui pourrait vous faire "dénoncer" comme clérical ou influencé par l'Église. Les hommes politiques, et ça depuis vingt ans, voient que leur intérêt premier c'est de ne pas montrer le bout du nez à ce sujet, y compris à l'intérieur de la droite où il y a, sinon une hostilité, du moins une méfiance qui est grandissante. Donc l'évolution, c'est celle aujourd'hui de ne pas se laisser repérer, de ne pas annoncer la couleur, de ne pas se manifester. C’est une évolution que j’ai vu ces sept dernières années.
Comment concilier foi et politique?
Cette question, elle a un aspect personnel mais elle a aussi un aspect institutionnel et public, et donc, c'est de plus en plus difficile. Enfin, on a un Premier ministre en France, François Bayrou, dont la position est connue et ancienne, qui est «Moi, je suis catholique, c'est ma vie personnelle et c'est distinct de mes responsabilités politiques». C’est une ligne qu’il a depuis très longtemps et qui a été en avance sur son temps.
Mais on voit que ceux qui sont notoirement catholiques, ça a pu leur jouer des tours. Je prends l’exemple de la loi sur la fin de vie. Il y a de ça deux ans environ, un groupe de parlementaires de gauche, parmi lesquels des socialistes, des écologistes, des communistes, ont invité leurs collègues à une réunion dans les locaux de l'Assemblée pour leur expliquer: «on est de gauche, mais on est contre le projet de faire une loi de ce type» pour des raisons qu’ils ont réaffirmé clairement: c'est une loi pour les riches, c'est une loi qui menace les plus fragiles, etc. Donc des arguments extrêmement solides du point de vue humain, et en particulier d'un point de vue de gens qui se déclarent des amis du peuple et pas de l'argent et du pouvoir. Ils ont été brocardés par leurs collègues de gauche, et il se trouve que dans ce groupe d’élus, il y en avait la moitié qui était plus ou moins identifiables comme catholiques. Et bien il y a eu une entreprise pour déconsidérer le groupe dans son ensemble en l'assimilant à un groupe de réactionnaire de gauche parce que catholique.
Ce projet de loi sur la fin de vie est un exemple concret de la difficulté à concilier le fidèle ou la fidèle catholique à l'homme ou la femme politique?
Oui. Il y a un tel matraquage et une telle efficacité du lobbying que, en réalité, ils ont gagné la bataille des idées dans l'espace public, auprès de la majorité. C'est à dire, ils ont réussi à faire passer l'idée que ce serait une loi de fraternité, ou encore une loi de liberté ultime. Ce sont évidemment des appellations mensongères.
Pourquoi est-ce qu'ils mettent ça en avant? Parce que c'est la manière dont ils sont une force de conviction auprès la majorité de la population.
Et donc c'est de plus en plus difficile de faire entendre une voix différente. On est de plus en plus étouffé, et c'est le cas pour certains parlementaires. Vous savez, les parlementaires, ce sont des gens qui sont représentatifs. Le côté représentation nationale est très discutable, mais ils sont représentatifs quand même. Ce sont des gens en moyenne comme les autres quoi. Et donc ils sont eux-mêmes sujets à cette intoxication qui est organisée dans leurs propres rangs, et non sans résultat.
Vous disiez que ce sont des hommes et des femmes «comme les autres» mais finalement, il y a aussi l'ambiguïté entre les compromis, les «coups bas» qu’il peut y avoir en politique, et la foi qui élève…
Ceux qui viennent régulièrement ou pas chez nous, c'est sûr que moi je les sens respirer quand on leur ouvre justement cet horizon de dépassement des conditions étroites. Pour moi, précisément ce qu'apporte la foi, c'est la liberté. C'est-à-dire que les conditions dans lesquelles ils exercent leur mandat et leur mission sont des conditions extraordinairement contraignantes, qu’ils s'en rendent compte ou non.
Ils sont contraints par des appartenances politiques. Ça a toujours été plus ou moins le cas, mais je pense que c'est pire qu'avant à cause des conditions actuelles des médias, des réseaux sociaux, du débat public et l'épuisement de notre modèle politique français. Avant les partis qui étaient des vraies familles, dans lesquelles on lavait son linge sale, mais aussi des lieux de réflexion, d'action, de projet, avec un enracinement dans des mandats locaux.
Typiquement, dans la gauche et la droite de gouvernement classique, il y avait quelque chose de productif, c'est-à-dire on produisait des gens qui pouvaient avoir quand même une qualité personnelle, humaine, et pas seulement des compétences de manipulation. On avait une polarisation droite-gauche qui n'était pas sans efficacité. On pouvait proposer à la nation deux projets qui n'étaient pas forcément antinomiques, mais qui avaient une coloration de base différente. Mais on est très loin de ce système qui avait ses vertus et son efficacité!
On est entré dans une phase caricaturale où, selon la règle actuelle médiatique, il faut avoir un produit pointu, il faut être agressif, il faut avoir une personnalité médiatique et donc on tombe dans tous les travers de la politique. Ça nous porte au culte de la personnalité, ça nous porte à l'outrance, ça nous porte à la radicalité en un sens, qui n'a rien à voir avec la réalité chrétienne de la foi. Et donc on est dans une faillite de notre système contre laquelle on n’a absolument pas de recette, ni de méthode pour en sortir.
Et alors, ce que je dis justement, c'est que la foi libère. Et c'est ça que je sens quand je leur ouvre une autre manière de penser les choses, parce qu'ils [parlementaires] sont enfermés dans ces systèmes médiatico-commerciaux, dans ces logiques étroites et pour tout dire, des logiques qui ne sont pas les plus dignes de notre humanité.
La possibilité d'avoir une parole qui s'élève dans l'ordre simplement des idéaux humains est devenue presque inexistante.
Vous êtes à Rome pour participer au jubilé des pouvoirs publics. Vous avez donc été reçu en audience par le Pape Léon XIV. Qu’avez-vous retenu de son discours?
Pour reprendre l’expressions de l’ambassadrice de France près le Saint-Siège, il y a la question des «biens communs». C'est évidemment l'eau, l’alimentation, la planète, la paix…Aujourd'hui, la question de l'intelligence artificielle touche à un commun qui est la possibilité de communiquer librement et de bonne qualité à l'intérieur des États, entre les États et à l'intérieur de l'humanité, et cela est menacé par les réseaux sociaux, etc.
J'ai senti que le propos du Pape nous renvoyait à cette problématique et renvoyait les responsables politiques, et en particulier les parlementaires, à cette responsabilité à prendre des directions attentives au bien de leur peuple et de l'humanité.
Moi, en écoutant ça, je voyais bien le parallèle avec la mission épiscopale. Chaque évêque est responsable de façon particulière du peuple qui lui est confié, et il est co-responsable, avec tous les autres évêques, sous la juridiction du Saint-Père, de l'ensemble de l'Église et de l'humanité.
Il y avait dans ce discours l'idée qu'il fallait quand même que les responsables politiques de chaque État soient conscients et à la hauteur de cette responsabilité, pas seulement de leur peuple, mais aussi de tous les peuples.
Ça veut dire que l'Église, évidemment bien loin de l'image réactionnaire que certains voudraient lui coller, est en fait particulièrement dans la pâte et dans l'empathie avec ce qui se passe dans notre humanité aujourd'hui.
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