S?ur Yvonne Reungoat: L¨¦on XIV, un homme de coll¨¦gialit¨¦ et de d¨¦cision
Entretien réalisé par Marie Duhamel ¨C Cité du Vatican
Plus de 100 000 personnes se massaient jeudi soir sous la loggia de la basilique Saint-Pierre pour découvrir le visage du Pape tout juste élu. S?ur Yvonne Reungoat n¡¯était pas de ceux-là. «Frappée de voir tant de gens courir avec joie», signe indiquant combien l¡¯événement était hors du commun, la religieuse salésienne est restée bloquée à quelques mètres des colonnades, découvrant sur son portable l¡¯identité du 267e Souverain pontife. «Plusieurs noms circulaient, et j¡¯avais pensé au cardinal Prévost. Cela m¡¯a beaucoup habitée» le jour de son élection, confie-t-elle.
Membre comme seulement deux autres femmes du dicastère pour les Êvêques dont le cardinal américain avait la charge, la religieuse française nous confie la joie éprouvée alors qu¡¯elle a finalement vu apparaitre son ancien préfet vêtu de blanc à la loggia, prendre le nom de Léon XIV. Dans cet entretien, s?ur Yvonne Reungoat retrace le parcours curial du religieux de l¡¯ordre de Saint-Augustin. Elle revient sur son mode de gouvernance, simple et collégial, et sur la confiance qui est la sienne à l¡¯égard des atouts et des convictions du nouveau successeur de Pierre.
Quelle fut votre émotion à lorsque le visage du Pape élu est apparu?
Je dois dire que j'ai ressenti une grande joie. D¡¯abord, je le connais un peu, nous avons collaboré ces dernières années, alors qu¡¯il était préfet du dicastère pour les Évêques. Ce n'était pas une personne inconnue. Ensuite parce que j'ai senti combien l'Esprit Saint est fidèle à lui-même et guide son Église. Cela m'a donné beaucoup de joie, de confiance et d'espérance dans l'avenir. L¡¯émotion est très, très grande.
Vous avez rejoint le dicastère pour les Évêques quelques mois avant sa nomination au poste de préfet. Pourquoi le Pape François l¡¯a, selon vous, choisi et quelles impulsions a-t-il donné au sein du dicastère?
Je ne connais pas les raisons du Pape François qui l¡¯avait précédemment nommé évêque au Pérou, après qu¡¯il a été supérieur général de sa congrégation. Cependant, je vois plusieurs éléments: le fait qu¡¯il ait été missionnaire et son attention aux pauvres, à l'écologie, aux migrants, qu'il avait pu déjà manifester très concrètement. En plus, c'est un homme spirituel. Il me semble aussi que le Pape François le connaissait par ailleurs du temps de l¡¯Amérique latine.
De quelle manière, ces deux dernières années, a-t-il tenté de définir le visage de l'Église universelle, son travail comme préfet consistant notamment à aider le Saint-Père dans le choix des futurs évêques?
Comme préfet du dicastère, il a pris la place du cardinal Ouellet avec beaucoup de simplicité et d'ouverture. Il a accordé une très grande attention au fait que le profil des candidats pour la nomination des évêques corresponde à la ligne du Pape François, pour que dans leur diocèse ils adoptent une ligne évangélique que le Pape François lui-même portait. Par exemple, le fait qu'ils soient vraiment des pasteurs pour leur peuple, capables de vivre une proximité avec les prêtres et aussi avec les gens, donc de bonne qualité relationnelle, en même temps que de bonnes capacités de discernement, d'ouverture, notamment aux dialogues ?cuménique et interreligieux. Il faut également une capacité d'attention à tout le peuple de Dieu, et une capacité de construire la communion. Enfin ils doivent savoir prendre des décisions, et orienter. Ces attentions aux candidats qui pouvaient être présentés ont vraiment été tenues présentes dans le discernement pour les nouveaux évêques, tout en tenant compte de la réalité de chaque diocèse et des défis que chacun d¡¯entre eux doit affronter.
Le cardinal Prévost, le Pape Léon XIV, l¡¯a vécu avec une très grande attention, une capacité d'écoute et celle d'aller à fond dans les réalités pour comprendre, pour chercher à clarifier ce qui avait besoin d'être clarifié, concernant les risques qui pouvaient se poser à propos de certaines questions, liées aux abus ou à la morale. Je l'ai vu avec beaucoup de délicatesse mais de sens de responsabilité pour affronter ces réalités. Et donc il a guidé les discernements avec sérénité, mais avec aussi une certaine sécurité mais surtout beaucoup d'ouverture et de clarté à la fois sur les critères et les éléments à tenir présents.
Comment qualifieriez-vous son type de gouvernance au sein du dicastère?
Je pense que c'est un homme qui sait collaborer, qui sait donner des responsabilités, qui se fie: il a confiance dans les collaborateurs et les personnes. Et je ne pense pas que ce soit le type de personne à gouverner tout seul mais en collaboration, tout en ayant quand même entre les mains le fait de guider l'Église.
La synergie est un élément important aussi parce que le Pape Léon XIV devra accompagner la réalisation concrète de certaines réformes que le Pape François a mises en ?uvre, par exemple la constitution apostolique qui touche, entre autres, la curie romaine et qui a mis l'accent sur une interrelation plus grande entre les dicastères, plus de collégialité. Et cela suppose un Pape qui non seulement le perçoit comme idée, mais qui puisse aider aussi à passer à sa réalisation concrète. Et je crois que, avec son expérience de gouvernance, Léon XIV a des atouts pour pouvoir gouverner et d'animer l'Église, pas tout seul bien sûr. Il sera important de voir de qui il va s'entourer dans sa tâche de gouverner et d'animer l'Église.
Vous parlez de collégialité, une des facettes de la synodalité. Le Pape Léon XIV dès sa première apparition a parlé d¡¯une Église synodale. En êtes-vous satisfaite?
C'est pour moi une chose vraiment importante. Ayant eu la grâce et la joie de participer aux deux assemblées synodales d'octobre 2023 et octobre 2024, j'ai vraiment fait l'expérience que c'était l'Esprit Saint qui guidait. Il est important que le fruit du synode puisse vraiment germer, se déployer, se vivre dans l'église. Une de mes craintes était justement qu'il n'y ait pas de continuité dans le chemin synodal, ce qui me semblait impossible au regard des pas qui ont été fait et parce que c'est vraiment la vocation de l'Église. Je sentais très important de ne pas retourner en arrière, mais au contraire d'aller en avant. Et le Pape Léon XIV, qui lui-même a participé directement dans les deux assemblées synodales, est convaincu de l'importance de ce chemin de renouvellement pour l'Église. Il l¡¯a dit dans son discours d'ouverture. Pour moi, c'est un des éléments prometteurs.
En voyez-vous d¡¯autres?
Oui, si la personnalité et le style sont différents, je pense que le Pape Léon XIV continuera à guider l'Église dans la ligne du Pape François, en raison de l'expérience du Pape Léon XIV. Une expérience d¡¯abord missionnaire, vécue au contact direct des pauvres dans le diocèse du Pérou où il a été évêque. Et c¡¯est une expérience récente car il a quitté le Pérou pour Rome il y a deux ans à peine. Il faut également mentionner son expérience de prieur général des Augustins, une expérience internationale qui le rend ouvert aux dimensions de l'universalité de l'Église, non seulement en théorie, mais aussi dans le concret des relations qu'il a pu déjà connaître
Aussi, en plus de la synodalité, il bénéficie d¡¯une ouverture due à ses origines (il est américain mais son père est franco-italien et sa mère d'origine espagnole) et à ses expériences. Il a un enracinement pastoral, et démontré une attention aux pauvres, aux marginalisés, aux migrants, à l'écologie, aux questions de la paix et de l'unité dans l'église et donc de la communion, qui est au fond la source de la paix dans le monde. Je crois qu'il a des bonnes capacités de porter, pour faire avancer ces dossiers.
Et vous qui l¡¯avez côtoyé au sein du dicastère pour les Évêques, que dire de la place des femmes dans l¡¯Église du Pape Léon XI?
J'ai expérimenté personnellement l'arrivée, pour la première fois, de trois femmes dans le dicastère pour les Évêques. Lui en était membre. Et ensuite, quand il en est devenu le préfet, j'ai pu vivre très concrètement, de sa part, un accueil, une collaboration, une confiance, un tenir compte, une ouverture, une autre contribution spécifique au sein du dicastère pour les Évêques. Cela me fait penser qu'il n'y a aucune raison de croire qu'il ne continuera pas dans ce sens, et je pense d¡¯ailleurs qu'il pourra aussi développer cette ligne d¡¯action, cet esprit de confier des responsabilités aux femmes dans l'Église, dans ce qu'elles peuvent porter.
Vous nous parliez de son style et de sa personnalité. Quelques points ont déjà été évoqués mais pourriez-vous être plus spécifique?
Je l'ai vu comme une personne discrète mais sereine et calme, qui sait affronter les situations avec la sérénité qui aide à prendre le recul et qui en même temps aide à approfondir, tout en restant maître de lui-même et dans une bonne capacité de collaboration. Cela permet de favoriser la corresponsabilité dans l'Église, je pense qu'il a une personnalité qui devrait l'aider à le vivre, au moins d'après ce que j'ai pu constater.
Je voudrais aussi parler de son engagement pour la paix qui est certainement un engagement important. Ces jours-ci, ça m'a beaucoup frappé de voir comment le monde a suivi l'Église, d'une part dans la participation à la douleur du départ du Pape François et en même temps la prière tout le temps de sa maladie mais aussi l'attente du nouveau Pape, l'accueil du nouveau Pape. Cela montre les attentes du monde par rapport à l'Église. Bien sûr, Léon XIV n'est pas seul. Il est un signe et derrière lui, avec lui, c'est aussi toute l'Église qui doit sentir cette responsabilité. Mais il est le pasteur qui donne l'orientation.
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