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Les cardinaux dans la chapelle Sixtine, mercredi 7 mai 2025. Les cardinaux dans la chapelle Sixtine, mercredi 7 mai 2025.   (@VATICAN MEDIA)

En conclave, même la musique invoque la Sagesse

Le chant du Veni Creator Spiritus, entre tradition et innovation dans le grand alphabet de la musique sacrée.

Marcello Filotei - Cité du Vatican

«La tradition consiste à garder le feu et non à vénérer les cendres», disait Gustav Mahler. C'est pourquoi le fait de revenir constamment au même texte pour lui donner un aspect différent n'a jamais été un problème pour un compositeur. La question est plutôt de savoir comment l'aborder, la volonté de l'accompagner, le désir de le tordre, ou tout simplement le courage de s'y attaquer. Si l'on décide de se confronter au grand alphabet de la musique sacrée, on peut difficilement éviter le Veni Creator Spiritus, le chant conçu exactement pour des moments comme celui-ci parce qu'il n'est pas seulement une prière liturgique pour la Pentecôte, mais un véritable archétype spirituel: une demande adressée à l'Esprit Saint pour qu'il insuffle la sagesse, celle dont les cardinaux réunis en conclave ont besoin en ce moment. Écrite en latin au IXe siècle et attribuée avec une certaine certitude à Raban Maurus, abbé et théologien de l'école palatine de Charlemagne, cette hymne a conservé les mêmes paroles pendant des siècles, mais la musique a pris des formes très différentes, s'adaptant au langage de chaque époque et reflétant différentes visions du sacré.

Retracer l'histoire musicale de ce domaine est une tâche d'encyclopédiste, mais en quelques lignes nous pouvons signaler quelques jalons dont il est difficile de se détacher. Giovanni Pierluigi da Palestrina à l'apogée de la Renaissance, Gustav Mahler à l'apogée du symphonisme romantique et Maurice Duruflé au XXe siècle français.

Palestrina et l'équilibre de l'invisible

Palestrina est une sorte d'équilibriste qui, au XVIe siècle, au moment où la réforme tridentine impose une nouvelle sobriété à la musique sacrée, se donne pour tâche de garantir l'intelligibilité du texte sans renoncer à la polyphonie. Plusieurs voix se superposent, mais le fidèle n'en perd pas une miette. Sa version du Veni Creator Spiritus est une architecture spirituelle transparente: les voix se poursuivent en contrepoint imitatif, mais le mot est toujours intelligible.

Ici, l'Esprit est lumière intérieure, et la mélodie grégorienne dont tout découle reste cantus firmus, terme technique utilisé lorsqu'une mélodie constitue la base d'une composition polyphonique. Le son est abstrait, pur, intemporel. C'est l'esprit créateur de Palestrina.

Mahler et la spiritualité comme totalité

Pour Mahler, en revanche, qui évolue au cÅ“ur de la fin du XIXe siècle, à une époque où l'idée de sacré est brisée et recomposée dans de nouvelles synthèses, il s'agit d'une véritable réinvention. Son hymne résonne dans l'imposante ouverture de la Huitième Symphonie, surnommée la «Symphonie des Mille» en raison du nombre d'interprètes requis. Composée en 1906, cette Å“uvre associe l'ancien texte latin au final du Faust de Goethe, fusionnant théologie et philosophie dans une même tension. L'invocation à l'Esprit créateur devient alors non plus une simple prière, mais le début d'un voyage symphonique et mystique. Mahler conçoit le sacré comme une totalité, ce qui signifie pour lui une totalité sonore. Pour cela, il a besoin de deux chÅ“urs mixtes, de huit solistes, d'un chÅ“ur d'enfants, d'un grand orchestre, d'un célesta, d'un piano, d'un harmonium, d'un orgue et d'une quantité d'instruments à percussion. Ainsi, l'attaque de son Veni Creator Spiritus devient une explosion de lumière, une sorte de Big Bang, où l'Esprit non seulement console, mais est surtout le principe vital, le souffle qui anime l'univers. Sa musique ne s'adresse pas aux églises, mais aux théâtres, au monde, à tous les humains. Mahler semble rechercher le vertige plutôt que l'introspection, en plein style romantique, période où l'on recherche l'infini à travers l'art.

Duruflé et la nostalgie du sacré perdu

Après cette explosion universelle, au XXe siècle, dans une époque marquée par les guerres et une crise majeure du sens, Maurice Duruflé a ressenti le besoin de regarder en arrière, de revenir à la tradition, en cherchant dans le passé une clé pour remodeler le sacré. Son Veni Creator Spiritus, de 1930, est écrit pour orgue seul. Le texte disparaît, seule la mélodie demeure, émergeant et disparaissant dans un flux articulé. Organiste titulaire de Saint-Étienne-du-Mont à Paris, Duruflé était un profond connaisseur du répertoire grégorien, mais il ressentait lui aussi le besoin de relire cet hymne à la lumière de ce qui s'était passé dans l'histoire de la musique. Lorsqu'il regardait autour de lui et qu'il voyait Debussy et Ravel avec leurs harmonies raffinées, il ne pouvait pas les ignorer et ne voulait pas les ignorer non plus. Son Veni Creator est une méditation sans paroles, un geste sonore qui évoque plutôt qu'il ne dit. Une musique qui n'affirme pas, mais interroge.

Un texte, trois visions, un souffle qui va de la rigueur géométrique de Palestrina à la monumentalité symphonique de Mahler, en passant par l'introspection de Duruflé. Le Veni Creator Spiritus montre comment la musique sacrée est une longue conversation avec l'Invisible et comment chaque époque projette dans ces mots sa propre idée de Dieu, de l'Esprit, de la création. Du moins quand on garde le feu, au lieu d'adorer les cendres.

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07 mai 2025, 19:00