Le Pape Fran?ois et l¡¯Europe
Entretien réalisé par Alexandra Sirgant ¨C Cité du Vatican
Originaire de l¡¯autre rive de l¡¯atlantique, François fut le premier pape non européen à accéder au trône de Pierre depuis plus d¡¯un millénaire. Si le Pape argentin a eu à c?ur de de se tourner vers les périphéries et de rendre l¡¯Église catholique moins eurocentrée, il est resté très attaché au Vieux Continent, en saluant à plusieurs reprises les valeurs humanistes et chrétiennes qui ont servi de base à son unification. Sur les 47 visites pastorales du Saint-Père ces douze dernières années, 17 ont été effectuées dans des États membres de l¡¯Union européenne. Lors de ces voyages, François n¡¯hésitera pas à s¡¯exprimer sur plusieurs sujets majeurs pour l¡¯UE tels que l¡¯accueil des migrants ou la guerre en Ukraine. Entretien avec Mgr Antoine Hérouard, premier vice-président de la Commission des Épiscopats de l¡¯Union européenne (COMECE) et archevêque de Dijon.
Que retenez-vous du pontificat de François?
De manière plus générale, ce que je retiens du pontificat de François, c'est son enracinement dans l'Évangile et une compréhension de l'Évangile dans la foi, la proximité et dans l'attention aux plus petits et aux plus pauvres.
En tant que vice-président de la COMECE, et de la Commission des épiscopats de l'Union européenne, je peux aussi souligner l'engagement du Pape François sur les questions européennes. On a souvent dit que ce Pape qui venait d'Amérique du Sud ne s'intéressait pas beaucoup à l'Europe ou avait une vision un peu négative de l'Europe. Je pense que ceci n'est pas vrai et que, au contraire, même si ce n'est pas là où il a fait le plus de voyages pastoraux, il a suivi de près l'actualité européenne et la construction européenne.
Il a voulu aussi réveiller l'Europe, par rapport à ses valeurs propres et à ce qui est attendu d'elle dans le monde. Je pense à ses discours au Parlement européen et au Conseil de l'Europe en 2014, mais aussi lorsqu'il a reçu le prix international Charlemagne en 2016, qui est tout de même la reconnaissance par les différentes institutions européennes du rôle important du Pape vis-à-vis de l'Europe. Il y a aussi eu l¡¯anniversaire du Traité de Rome en 2017, à Rome justement, où il a reçu les chefs d'État et de gouvernement de l'ensemble des pays de l'Union européenne. Et puis, toujours en 2017, le discours aux participants à la conférence «(Re)Thinking Europe» [(Re)penser l¡¯Europe] qui avait été organisée conjointement par la Secrétairerie d'État et la COMECE, preuve encore de son engagement très fort au niveau européen.
Vous avez évoqué sa prise de parole au Parlement européen le 25 novembre 2014. Pendant ce discours, François ne va pas hésiter à interpeller les dirigeants européens en parlant d'une Europe qui est comme «une grand-mère», «respectable, riche d'expériences», mais «qui n'est plus fertile». Quelle trace laisse-t-il sur le continent par ses prises de parole?
Je pense que le Pape François a eu l'avantage de souligner un certain nombre de questions fondamentales autour de la construction européenne, telle que «Qu'est-ce que nous recherchons?». Je tiens à rappeler que la construction européenne a été initiée au sortir de la Seconde Guerre mondiale par les pères fondateurs, dont beaucoup étaient chrétiens. Ils ont cherché à bâtir des solidarités pour garantir la paix en Europe. Aujourd'hui, à travers l'invasion russe en Ukraine, on voit que la guerre revient sur le continent européen. Elle est à nos portes, et ceci nous donne peut-être une responsabilité particulière, plus grande encore pour travailler et défendre la paix en Europe.
Ensuite, dans la manière dont le Pape a secoué aussi certaines idées reçues ou certaines façons de concevoir l'Europe, il a voulu nous rappeler que l'Europe était fondée sur des valeurs importantes et sur un dynamisme, et qu¡¯il ne fallait pas laisser tomber ce dynamisme.
Je pense que le Pape a été aussi très soucieux de la question démographique en Europe, parce qu'on voit que l'Europe vieillit et c'est pour ça qu'il a utilisé cette image [de «grand-mère»]. Cela entraîne des migrations, venues de l'extérieur, mais aussi migrations intra-européennes au sein d¡¯un certain nombre de pays de l'Est européen. Je pense à la Bulgarie, à la Roumanie et à d'autres pays où la population a diminué ces dernières années parce que les plus jeunes et plus instruits vont chercher du travail et un avenir dans l'Ouest européen, ce qui fragilise ces pays.
Le tout premier voyage du pontificat de François était à Lampedusa en 2013 pour parler justement de la question migratoire en Méditerranée. Tout au long de son pontificat, il s'est employé à rappeler aux capitales européennes les valeurs communes de solidarité et d'humanisme. Qu'est-ce qu'il en reste aujourd'hui?
Le Pape n'a pas proposé une politique migratoire, elle est de la responsabilité des États et de l'Union européenne. Mais il a voulu rappeler une chose qui est absolument fondamentale, c'est qu'on ne peut pas traiter ces questions migratoires simplement à travers des statistiques, à travers des nombres. Il a invité à toujours regarder les migrants et ceux qui venaient trouver refuge en Europe comme des personnes qui, à ce titre, doivent être respectées, accueillies, accompagnés, et puis ensuite intégrées.
Vous le disiez aussi plus tôt, son pontificat a été marqué par le retour de la guerre en Europe. C'est un des défis auxquels devra faire face son successeur? Quelles sont défis qui attendent l'Église en Europe?
Il y a cette question-là de la guerre et de la paix. Il y a le fait aussi que jusqu'à présent, toute la question de la sécurité européenne s¡¯est largement appuyée sur les Etats-Unis. Avec la présidence actuelle de Donald Trump, on voit que les choses sont en train de changer très rapidement et que sans doute les pays européens vont devoir penser leur propre sécurité et s'engager aussi dans des efforts de réarmement. Alors évidemment, ça pose aussi des questions pour l'Église: on peut encourager à la paix plutôt qu'à à engager des sommes très importantes dans l'armement, et en même temps, on peut se dire aussi que si l'Europe n'a pas les moyens de sa propre défense, alors elle ne pourra pas non plus défendre et promouvoir ses idées et ses idéaux. On peut se rappeler aussi de ce en son temps, même si les temps sont différents: il n'y a pas de paix sans justice, et il n'y a pas de justice sans respect des droits.
On voit bien qu'aujourd'hui on est dans un monde où les principales puissances font peu de cas de l'ordre international, de l'ONU, de tout ce qu¡¯on a cherché à bâtir au fil du temps pour réguler les conflits et les relations internationales. Mais peut être que, justement, l'Europe doit pouvoir affirmer aujourd'hui ses propres valeurs autour de la démocratie, autour de l'état de droit, autour d'une certaine compréhension aussi du respect des plus pauvres. Et au fond, peut-être que les Européens n'ont pas suffisamment conscience de cela aujourd'hui, c'est-à-dire qu'on regarde nos propres problèmes et on cherche à les résoudre, mais il ne faut pas le faire d'une façon purement égoïste. Il faut aussi se dire que beaucoup de pays aujourd'hui dans le monde sont fragilisés par cette modification considérable des équilibres mondiaux, entre les États-Unis, la Russie et la Chine, et que ces pays cherchent peut-être d'autres boussoles et d'autres points d'appui. C'est là que l'Europe doit pouvoir promouvoir ses propres valeurs.
Y a t-il en Europe des attentes particulières sur le profil du prochain Pape?
On accueillera bien sûr le Pape que les cardinaux auront choisi avec l'aide de l'Esprit Saint. Ce Pape sera européen ou non européen. Finalement, ce n¡¯est pas ça la question primordiale, mais c¡¯est de se dire que forcément, le Pape a une responsabilité universelle mais il est aussi l'évêque de Rome, et il a un rôle particulier sur notre continent, puisqu¡¯il y vit. Donc cela suppose aussi que le Pape puisse comprendre, accueillir et guider les enjeux qui sont ceux de l'Europe aujourd'hui.
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