Cardinal Tagle: ?L¨¦on XIV, un pasteur qui dirigera en ¨¦coutant tout le monde?
Alessandro Gisotti ¨C Cité du Vatican
Dans la chapelle Sixtine, lors du conclave, ils étaient assis l'un à côté de l'autre. Aujourd'hui, Luis Antonio Tagle et Robert Francis Prevost se sont retrouvés lors d'une audience au palais apostolique, une semaine après l'Habemus papam qui a précédé la première bénédiction Urbi et Orbi de Léon XIV. Le cardinal américano-péruvien devenu Pape et le cardinal philippin se connaissent depuis de nombreuses années et ont collaboré étroitement ces deux dernières années à la tête de leurs dicastères respectifs, celui des Évêques et celui de l'Évangélisation. Dans un entretien au médias du Vatican, le cardinal Tagle dresse un portrait personnel du nouveau Souverain pontife, raconte son expérience spirituelle au cours du conclave et se souvient avec émotion du Pape François.
Éminence, Léon XIV fait les premiers pas de son pontificat après un conclave qui s'est achevé rapidement. Qu'est-ce qui vous impressionne chez ce Pape que nous apprenons tous à connaître?
J'ai rencontré pour la première fois le Pape Léon XIV à Manille et à Rome lorsqu'il était encore prieur général de l'Ordre de Saint-Augustin. Depuis 2023, nous sommes ensemble à la Curie romaine. Il a une capacité d'écoute profonde et patiente. Avant de prendre une décision, il se consacre à l'étude et à la réflexion. Il exprime ses sentiments et ses préférences sans vouloir imposer. Il est préparé intellectuellement et culturellement sans en faire étalage. Dans les relations, il apporte une chaleur sereine, affinée par la prière et l'expérience missionnaire.
À la veille du conclave, beaucoup parlaient d'une Église divisée, de cardinaux aux idées floues sur le choix du nouveau Pape. Au contraire, le Pape a été élu dès le deuxième jour. Comment avez-vous vécu ce conclave, le deuxième après celui de 2013?
Avant les grands événements qui ont un impact mondial, on entend des spéculations, des analyses et des prédictions. Le conclave n'y échappe pas. Il est vrai que j'ai participé à deux conclaves, ce que je considère comme une véritable grâce. Lors du conclave de 2013, Benoît XVI était encore en vie, tandis que lors du conclave de 2025, le Pape François participait déjà à la vie éternelle. Nous devons garder à l'esprit la différence de contexte et d'atmosphère. J'ajouterais également que si chacun des deux conclaves a été une expérience unique et non reproductible, il y a également eu des éléments constants. En 2013, je me suis demandé pourquoi nous devions porter des robes de ch?ur pendant le conclave. J'ai ensuite appris et expérimenté que le conclave est un événement liturgique, un temps et un espace de prière, d'écoute de la Parole de Dieu, des impulsions de l'Esprit Saint, des gémissements de l'Église, de l'humanité et de la Création. C¡¯est aussi un moment de purification personnelle et communautaire des motivations mais surtout de culte et d'adoration de Dieu, dont la volonté doit régner en maître. Le Pape François et le Pape Léon ont été élus le deuxième jour. Le conclave nous enseigne, ainsi qu'à nos familles, nos paroisses, nos diocèses et nos nations, que la communion des c?urs et des esprits est possible si nous adorons le vrai Dieu.
Dans la chapelle Sixtine, vous étiez assis à côté du cardinal Prévost. Comment le futur Pape a-t-il réagi lorsque le quorum des deux tiers a été atteint?
Sa réaction a été un mélange de sourires et de respirations profondes. C'était à la fois une sainte acceptation et une sainte crainte. J'ai prié pour lui en silence. Dès qu'il a obtenu le nombre de voix nécessaire, un tonnerre d'applaudissements a éclaté, comme lors de l'élection du Pape François. Les cardinaux ont exprimé leur joie et leur gratitude envers leur frère le cardinal Prévost. Mais c'était aussi un moment intime entre Jésus et lui, dans lequel nous ne pouvions pas entrer et que nous ne devions pas déranger. Je me suis dit: «Laissons le silence sacré envelopper Jésus et Pierre».
Après un fils de saint Ignace, un fils de saint Augustin. Que signifie, à votre avis, le fait que deux Papes appartenant à des ordres religieux importants se succèdent dans l'Église, un jésuite avec François et un augustinien avec Léon XIV?
Saint Augustin et saint Ignace avaient de nombreux points communs. Tous deux avaient suivi un parcours mondain et avaient éprouvé un sentiment d'inquiétude qui les avait poussés à l'aventure. Puis, au moment décidé par Dieu, ils ont trouvé en Jésus ce que leur c?ur désirait. «Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle », «Seigneur éternel de toutes choses». Les «écoles» augustinienne et ignatienne sont nées de la base commune de la grâce et de la miséricorde de Dieu, qui libère le c?ur pour aimer, servir et partir en mission. En gardant son esprit augustinien, le Pape Léon fera écho à l'esprit ignatien du Pape François. Je pense que toute l'Église et toute l'humanité bénéficieront de leurs dons. Après tout, saint Augustin et saint Ignace (et tous les saints) sont les trésors de toute l'Église.
Mgr Prevost est un évêque missionnaire, né et qui a grandi aux États-Unis, mais formé au Pérou en tant que prêtre et pasteur. Certains ont dit qu'il était le «Pape des deux mondes». En Asie, d'où vous êtes originaire, comment les gens voient-ils un tel Pape?
Sans nier la primauté de la grâce dans le ministère du Pape Léon, je crois que sa formation humaine, culturelle, religieuse et missionnaire peut donner à son ministère un visage unique. Mais cela vaut pour tous les Papes. Le ministère pétrinien consistant à confirmer les frères et s?urs dans la foi en Jésus, le Fils du Dieu vivant, reste constant, mais il est vécu et exercé par chaque Pape dans son humanité unique. L'expérience multicontinentale et multiculturelle du Pape Léon l'aidera certainement dans son ministère et profitera à l'Église. Les Asiatiques aiment le Pape en tant que Pape, quel que soit son pays d'origine. Il est aimé non seulement par les catholiques, mais aussi par les autres chrétiens et les adeptes de religions non chrétiennes.
Beaucoup vous ont «soutenu» en espérant que vous deviendriez Pape. Comment avez-vous vécu cela? Étiez-vous conscient d'être, comme on dit en italien, l'un des principaux «papabili»?
N'aimant pas être sous les feux de la rampe, j'ai trouvé l'attention portée sur moi plutôt déconcertante. J'ai essayé de trouver la force spirituelle et humaine de ne pas m'impliquer. J'ai beaucoup médité les mots de la constitution apostolique Universi Dominici Gregis sur «la tâche très lourde qui incombe [aux cardinaux] et, par conséquent, la nécessité d'agir avec une intention droite pour le bien de l'Église universelle, solum Deum prae oculis habentes». En déposant son bulletin de vote, chaque cardinal dit: «Je prends à témoin le Christ Seigneur, qui me jugera, que je donne ma voix à celui que, selon Dieu, je juge devoir être élu». Il est clair qu'il n'y a pas de candidats au sens «mondain» des élections politiques, où un vote pour un candidat est un vote contre un autre candidat. Lorsqu'on cherche le bien de l'Église universelle, on ne cherche pas les gagnants et les perdants. Ce principe directeur purifie l'esprit et donne de la sérénité.
Nous approchons du premier mois depuis la mort du pape François. Quel sera, selon vous, l'héritage le plus profond et le plus durable laissé par ce pontife à l'Église et à l'humanité?
Mon c?ur se réjouit des nombreux témoignages offerts par les fidèles catholiques, les communautés chrétiennes non catholiques et les membres de religions non chrétiennes concernant l'enseignement et l'héritage du Pape François. J'espère que ces témoignages pourront se multiplier et être «recueillis» dans le cadre de notre compréhension non seulement du Pape François, mais aussi du ministère pétrinien. Pour ma part, je voudrais souligner le don d'humanité, d'être humain pour les autres, qui a caractérisé le pontificat du Pape François. Si vous avez une histoire personnelle à raconter à son sujet, faites-le. Notre monde a besoin de redécouvrir et de cultiver la beauté et la valeur d'être authentiquement humain. Le Pape François, par son humanité simple et même fragile, a apporté une immense contribution à cette quête, non pas pour sa propre gloire, mais pour la plus grande gloire de Dieu qui, en Jésus, s'est fait pleinement humain.
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