Cardinal Bo: Fran?ois avait un profond respect pour les peuples d'Asie
Deborah Castellano Lubov ¨C Cité du Vatican
«Le Pape François était proche de tous, des personnes brisées, des oubliés et de la terre elle-même. Il a fait de la place dans son c?ur pour ceux que le monde a mis de côté. Ainsi, alors que le monde le pleure, nous ressentons le chagrin qui suit toujours un grand amour». Ainsi s¡¯exprimait le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun et président de la Conférence épiscopale de la Birmanie, qui a exercé deux mandats en tant que président de la fédération des conférences épiscopales d'Asie, après le décès du Pape le 21 avril. L¡¯archevêque, a eu la joie d'être nommé par le Pape François comme le tout premier cardinal de la Birmanie et d'accueillir le Saint-Père dans son pays en novembre 2017. Se souvenant du voyage apostolique historique du Pape François en Birmanie, il a aussi déclaré que: «Malgré les pressions considérables exercées par divers milieux pour qu'il ne se rende pas dans notre pays, et malgré les nombreux défis qui se profilaient, le Pape François a choisi de venir. Ce faisant, il a mis en lumière les souffrances de notre peuple». Ajoutant que «le Pape François avait une profonde affection pour les peuples d'Asie», et qu'« il est tombé amoureux du peuple birman».
Au fil des ans, le Pape n'a pas cessé de lancer des appels en faveur de la Birmanie, de la paix et de la solidarité. Avant même son décès, il a non seulement exprimé ses condoléances à toutes les personnes touchées par le tragique tremblement de terre, mais il a également offert des vivres pour aider la population en détresse. Au 19 avril 2025, le bilan du tremblement de terre de magnitude 7,7 qui a frappé la Birmanie le 28 mars s'élevait à 3 726 morts, 5 105 blessés et 129 disparus. Cette catastrophe a aggravé la crise humanitaire qui en Birmanie, où près de 20 millions de personnes ont besoin d'aide en raison du conflit civil en cours.
Le Pape s'est constamment montré proche du peuple de votre pays. Qu'est-ce que la proximité du Pape avec le peuple de Birmanie qui souffre sur tous les fronts, avec la guerre, l'urgence humanitaire, puis le tremblement de terre, a signifié pour eux?
Le Pape François est véritablement un prophète des périphéries. Il n'a pas cherché la sécurité dans les centres de pouvoir, ni fait du confort du Vatican son refuge. Il a plutôt tourné son c?ur et son regard vers les marges existentielles de l'humanité, vers ceux dont les cris sont noyés dans le discours mondial, dont les larmes passent inaperçues aux yeux du monde. Dans cet esprit, son attention a été attirée par la Birmanie, une nation qui souffre depuis longtemps, qui est blessée et qui survit à une polycrise. Malgré les pressions considérables exercées par divers milieux pour qu'il ne se rende pas dans notre pays, et malgré les nombreux défis qui se profilaient à l'horizon, le Pape François a choisi de venir. Il a ainsi mis en lumière la souffrance de notre peuple. Sa décision en a surpris plus d'un, même parmi les nations catholiques du monde. Mais pour lui, l'humanité est primordiale et la souffrance humaine est une préoccupation sacrée. Il est tombé amoureux du peuple birman, de sa patience, de son courage et de sa remarquable solidarité face à la spirale des crises. Alors qu'une vague de troubles frappait la nation l'une après l'autre, il a marché avec nous, non pas à distance, mais dans le cadre d'une solidarité émotionnelle et affectueuse. Il a porté notre douleur dans ses prières, dans ses messages et dans son c?ur. Plus de neuf fois, il a parlé publiquement de la Birmanie. Il a fait des déclarations sincères et a même célébré une messe spéciale pour la paix dans notre pays. Ce faisant, il a rappelé au monde que la Birmanie est importante, que nos blessures ne sont pas invisibles et que la paix est possible.
Pourquoi la Birmanie était au c?ur des préoccupations du Pape François?
Son soutien indéfectible et sa préoccupation profonde et personnelle pour la souffrance de notre peuple ont touché d'innombrables c?urs à travers notre nation. Même lorsque la nature elle-même s'est retournée contre nous et que le tremblement de terre nous a frappés, le Pape François n'a pas reculé. Par l'intermédiaire du Vatican, des gestes de sollicitude et des actes de compassion ont été envoyés - des affirmations silencieuses mais puissantes apportées à notre peuple que nous n'avons jamais été oubliés par le Saint-Père.
Ce qui est encore plus émouvant pour notre peuple, c'est qu'il a fait tout cela au crépuscule de son pontificat, alors qu'il luttait contre une maladie mortelle. Dans ses derniers jours, alors que la plupart des gens cherchaient le repos, il a continué à porter la croix du monde souffrant, dont la Birmanie. Son souvenir est désormais gravé dans l'âme de notre nation. Le peuple de Birmanie n'oubliera jamais ce berger aimant et compatissant. Sa voix est devenue notre écho, son c?ur a battu avec notre douleur et sa présence a apporté la guérison.
Au cours des derniers jours de sa vie, le Souverain pontife avait lancé un appel à votre pays et lui avait offert son soutien. Quelle importance cela a-t-il eu?
En effet, sa préoccupation a été le «baume qui guérit notre peuple». Imaginez des milliers de sans-abri, des églises et du personnel ecclésiastique contraints de dormir dans les rues, confrontés quotidiennement aux menaces de la nature et vivant des moments apocalyptiques. Dans une telle situation, la sollicitude et le soutien du Pape sont comparables à ceux d'une mère qui tend la main à un enfant effrayé. Les catholiques, mais aussi d'autres personnes, ont été profondément réconfortés lorsqu'ils ont appris que le Pape François avait prié pour la Birmanie lors de l'Angélus. Nos propres chrétiens ont ressenti un sentiment d'appartenance à une vaste famille humaine où la souffrance et les larmes de chacun ne sont pas oubliées. Ce sentiment est né du fait que le Pape François a pris l'initiative d'aller à la rencontre des gens.
Quel est, selon vous, l'héritage du Pape François?
Le Pape François restera dans l'histoire comme l'un des plus remarquables disciples de Jésus, un Pape qui a constamment adhéré à l'essence radicale de l'Évangile: la préoccupation inébranlable de Dieu pour les personnes les plus vulnérables, marginalisées et perdues. À une époque où beaucoup succombaient à la tentation de réduire la foi au confort et au conformisme, il a eu le courage de parler avec la ferveur des prophètes et la tendresse du Christ. Ses paroles, parfois dérangeantes ont servi de miroir dans un monde qui s'était désensibilisé face à l'injustice. En particulier dans les pays riches où le christianisme est souvent déformé pour justifier les privilèges et exclure les pauvres, le Pape François a recentré l'axe originel de l'Évangile: l'amour inébranlable du Christ pour les pauvres et sa solidarité divine avec les marginaux. Il ne s'est pas contenté de parler des pauvres, il a marché activement à leurs côtés. Il ne s'est pas contenté de défendre les opprimés, il les a accueillis comme les siens. Son pontificat a incarné une parabole vivante, un témoignage d'une Église qui ne doit pas résider dans des palais alors que le monde languit à l'extérieur de ses portes. L'histoire ne reconnaîtra pas seulement ses paroles, mais aussi la profonde adéquation entre sa vie et celle de Jésus. Sa simplicité, son humilité, son courage et sa compassion joyeuse ont transcendé tout décret. Dans un monde de plus en plus froid et infecté par une culture de l'indifférence, il nous a rappelé que le c?ur de l'Église doit palpiter de miséricorde. L'héritage du Pape François sera d'avoir restauré l'Église dans les rues, les périphéries et les coins blessés du monde, là où le Christ lui-même habite. Il a démontré qu'être véritablement chrétien, c'est suivre les traces de Jésus, défendre ceux qui n'ont pas de voix et aimer avec la générosité insouciante de l'Évangile.
Et diriez-vous qu'il a accordé une attention particulière aux peuples d'Asie et d'Océanie?
Le Pape François avait une profonde affection pour les peuples d'Asie. Lors de l'une de ses dernières visites en Extrême-Orient, il s'est rendu en pèlerinage dans une région reculée où la présence catholique était pratiquement inexistante. Il a embrassé tous les individus d'Asie et d'Océanie, incarnant le rôle d'un bon pasteur qui a cherché à s'engager avec ceux avec lesquels il souhaitait dialoguer. Alors que d'autres privilégiaient le dialogue avec d'éminents universitaires, le Pape François s'est fait le champion du dialogue en rencontrant des cultures et des peuples divers, ainsi que leurs contextes respectifs. Sa reconnaissance des communautés indigènes en tant que gardiennes de la nature a facilité de nombreux échanges culturels. En Birmanie, sa visite a laissé une impression indélébile dans les c?urs. Les peuples d'Asie, comme le croyait le Pape François, accueilleront le Christ de l'Asie. Ce siècle porte la promesse du retour du Christ en Asie, et le Christ asiatique continuera d'inspirer le monde. Grâce à sa profonde compréhension de l'Asie et de l'Église asiatique, le Pape François a imaginé un avenir où ces deux entités s'entrecroisent de manière profonde et transformatrice.
Votre Éminence, y a-t-il des paroles de réconfort ou de foi que vous aimeriez partager avec ceux qui pleurent le départ pour l¡¯éternité du Pape François?
Dans les moments de profonde tristesse, lorsque le monde semble plus calme et que nos c?urs souffrent de la perte, nous devons nous rappeler la vérité sacrée que le Pape François a vécue et enseignée: «la vie est une relation». Tout son pontificat a été une symphonie de relations, enracinées dans l'amour, exprimées dans la solidarité et vécues avec simplicité. Ses trois écrits les plus importants en sont le reflet. La joie de l'Évangile était en fait son appel à restaurer notre relation avec Dieu, pleine de grâce et d'allégresse. Ensuite, Fratelli Tutti a donné sa vision audacieuse de la fraternité et de l'amitié les uns avec les autres, au-delà des frontières et des différences. Enfin, dans Laudato Si', le Pape François a lancé un appel passionné à restaurer notre relation avec la création, en prenant soin de notre Maison commune. Le Pape François s'est rapproché de tous, des personnes brisées, des oubliés et de la terre elle-même. Il a fait de la place dans son c?ur pour ceux que le monde a mis de côté. Aujourd'hui, alors que le monde le pleure, nous ressentons le chagrin qui suit toujours un grand amour. Lorsqu'il y a une relation profonde, il y a aussi la douleur profonde de la séparation. Notre deuil n'est pas une faiblesse. Il témoigne plutôt de la beauté des liens qu'il a tissés entre les cultures, les nations et les c?urs. Mais si nous écoutons attentivement le silence qu'il laisse derrière lui, nous pouvons presque entendre son murmure: «Ne restez pas trop longtemps dans votre chagrin - revenez à ce qui compte. Réconfortez ceux qui souffrent. Relevez les humbles. Prêchez la paix enracinée dans la justice. Soyez tendres. Soyez audacieux. Construisez le monde dont nous avons rêvé ensemble».
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