Fran?ois ou le rejet cat¨¦gorique du recours aux armes
Salvatore Cernuzio - Cité du Vatican
Les seules «armes» auxquelles le Pape François a donné son assentiment dès son accession au trône de Pierre et pendant les douze années qui ont suivi, ont été le dialogue et la rencontre et, pour les catholiques, la prière et le jeûne. Pour le reste, le Pape a dit «non» aux armes, à leur production, à un marché florissant en raison des multiples guerres.
Evangelii gaudium et la dénonciation du consumérisme et de l'iniquité
Dans Evangelii gaudium, l'exhortation apostolique feuille de route de son magistère depuis 2014, François a formulé sa première critique, dénonçant les «mécanismes de l'économie actuelle» qui «favorisent l'exaspération de la consommation». Ce «consumérisme effréné, combiné à l'inégalité», écrit-il, met doublement à mal le tissu social. Ainsi, «l'inégalité sociale génère tôt ou tard une violence que la course aux armements ne résout ni ne résoudra jamais». Cela ne «sert qu'à tromper ceux qui exigent plus de sécurité, comme si nous ne savions pas aujourd'hui que les armes et la répression violente, au lieu d'apporter des solutions, créent de nouveaux conflits, plus graves encore».
Des systèmes économiques qui se nourrissent de la guerre
La même année, en 2014, lors de la première rencontre au Vatican avec les mouvements populaires, François avait souligné l'urgence de notre époque en une expression, qu¡¯il n¡¯aura de cesse de répéter, évoquant une «troisième guerre mondiale par morceaux». Une dénonciation prononcée presque dix ans avant la menace récemment formulée par le président américain Donald Trump d¡¯une troisième guerre mondiale, avant l'invasion russe de l'Ukraine et le déclenchement de nouvelles violences dans la bande de Gaza.
«Il existe des systèmes économiques, a déclaré le Souverain pontife dans ce même discours, qui doivent faire la guerre pour survivre. Ensuite, les armes sont fabriquées et vendues, et ainsi les budgets des économies qui sacrifient l'homme aux pieds de l'idole de l'argent sont manifestement soignés. Et vous ne pensez pas aux enfants affamés dans les camps de réfugiés, vous ne pensez pas aux déplacements forcés, vous ne pensez pas aux maisons détruites, vous ne pensez même pas aux nombreuses vies brisées».
Gagner de l'argent en tuant
En dix ans, le Pape a ainsi aiguisé sa pensée, à la lumière des nouvelles en provenance de l'Europe de l'Est et du Moyen-Orient - des nouvelles qui «semblent nous faire perdre confiance dans les capacités de l'être humain», disait-il à la Confédération nationale de l'artisanat et des petites et moyennes entreprises italiennes en novembre 2024. «Nous vivons une époque de guerre, de violence», a déclaré le Saint-Père, partageant une anecdote personnelle. «Un économiste m'a dit que les investissements qui rapportent le plus aujourd'hui, en Italie, sont les usines d'armement. Cela n'embellit pas le monde, c'est laid. Si vous voulez gagner plus, vous devez investir pour tuer... Embellir le monde, c'est construire la paix», rapportait-il alors.
Un Fonds mondial contre la faim avec l'argent alloué aux armes
Cette réflexion a pris la forme d'une proposition concrète du Pape présentée aux dirigeants des nations lors de la Cop28 en 2023 à Dubaï. «Combien d'énergie l'humanité gaspille-t-elle dans les nombreuses guerres en cours... des conflits qui ne résoudront pas les problèmes, mais les accroîtront! Combien de ressources sont gaspillées en armements, qui détruisent des vies et ruinent la maison commune! Je fais une proposition: avec l'argent qui est dépensé en armes et autres dépenses militaires, créons un Fonds mondial pour éliminer enfin la faim», affirmait François dans son discours, lu par le cardinal Secrétaire d'État, Pietro Parolin.
La même proposition est reprise dans Spes non confundit, la bulle du Jubilé 2025, cristallisée par le Pape, non plus comme une idée qu'un homme ou une femme de bonne volonté peut reprendre, mais comme une initiative concrète à développer au cours de l'Année sainte, avec l'abolition de la peine de mort, la remise de la dette pour les pays pauvres et le silence, donc, des armes.
Appels et dénonciations
Si l'on se penche sur les discours publics et les actes magistériels du Pape François, on ne compte plus les appels contre les armes: depuis l'Urbi et Orbi de 2020 sur une place Saint-Pierre vidée de ses fidèles en pleine pandémie. «Ce n'est pas le moment de continuer à fabriquer et à vendre des armes, en dépensant d'énormes capitaux qui devraient être utilisés pour guérir les gens et sauver des vies», lançait-il. Lors du Forum Globsec de Bratislava (juin 2021) il appelait à convertir «les armes en nourriture». En juin 2024, dans son discours adressé en personne aux membres du G7, il soulignait les risques et le potentiel de l'Intelligence artificielle, insistant sur un point. «Dans un drame tel que les conflits armés, il est urgent de repenser le développement et l'utilisation de dispositifs tels que les soi-disant ¡®armes autonomes létales¡¯ afin d'en interdire l'usage, en commençant déjà par un engagement proactif et concret pour introduire un contrôle humain toujours plus grand et significatif». De là, part sa principale mise en garde sur l¡¯IA: «Aucune machine ne devrait jamais choisir de prendre la vie d'un être humain».
De Sarajevo à Luxembourg, le cri de tous les voyages apostoliques
Mais s'il est une étape à partir de laquelle le pasteur de l'Église catholique universelle a fait résonner son «non» aux armes plus que toute autre, c'est bien celle de ses voyages apostoliques internationaux. Déjà en 2015, lors de la messe à Sarajevo, parmi les lieux qui plus que d'autres ont connu les ravages de la guerre, François s'en prenait au climat de haine et à ceux qui «veulent le créer et le fomentent délibérément», à savoir «ceux qui recherchent le choc entre les différentes cultures et civilisations, et aussi ceux qui spéculent sur les guerres pour vendre des armes».
«Les armes et la répression violente, au lieu d'apporter des solutions, créent de nouveaux conflits plus graves. L'équité de la violence est toujours une spirale sans issue; et son coût, très élevé», a toutefois averti le Pape lors de la messe de 2019 à Maputo (Mozambique). Tandis qu'au cours du voyage historique - car on ne peut le définir autrement - de 2021 en Irak, le Souverain pontife, devant les autorités de Bagdad, a lancé son cri: «Faites taire les armes! Retenez leur diffusion, ici et partout». Et aux représentants des différentes confessions, qu'il a rencontré ensuite, il a demandé de «convertir les instruments de haine en instruments de paix»: «Il nous appartient d'exhorter fortement les dirigeants des nations pour que la prolifération croissante des armes cède la place à la distribution de nourriture pour tous».
On ne peut pas non plus oublier le discours aux autorités du Kazakhstan en 2022 avec l'invitation à s'engager davantage «pour promouvoir et renforcer la nécessité de résoudre les conflits non pas avec les raisons peu concluantes de la force, avec les armes et les menaces, mais avec les seuls moyens bénis par le Ciel et dignes de l'homme: la rencontre, le dialogue, les négociations patientes, qui se déroulent en pensant aux enfants et aux jeunes générations». Devant les autorités de Malte lors de son voyage en 2022, le Souverain pontife a déploré le fait que: «Nous nous sommes habitués à penser avec la logique de la guerre. C'est d'ici que commence à souffler le vent glacial de la guerre, qui s'est nourri au fil des ans. Oui, la guerre est préparée depuis longtemps avec de gros investissements et des contrats d'armement». Dans la même veine, à Marseille, en septembre 2023, le Pape François avait affirmé qu'«Avec les armes, on fait la guerre, pas la paix, et avec l'avidité du pouvoir, on revient toujours au passé, on ne construit pas l'avenir».
S'appuyant sur l'histoire et en particulier sur celle de l'Europe, qui a tenté de laisser derrière elle les divisions, les contrastes et les guerres, causés par des «nationalismes exaspérés» et des «idéologies pernicieuses», le Pape François, il y a moins d'un an, a partagé avec les représentants politiques et civils du Luxembourg sa tristesse devant le fait qu'aujourd'hui, dans les pays du Vieux Continent, «les investissements qui rapportent le plus sont ceux des usines d'armement. C'est très triste».
«La grande hypocrisie»
Et si la rentabilité des investissements suscite la tristesse, elle provoque au contraire l'indignation de voir que ce sont les mêmes nations qui promulguent des appels et des conférences de paix qui investissent. «La grande hypocrisie», a dit le Pape François dans l'un des discours les plus significatifs sur le sujet, celui prononcé à Bari lors de la rencontre des évêques méditerranéens en 2020. Il s'agit d'un «grave péché d'hypocrisie» lorsque, a-t-il souligné, «dans les conférences internationales, dans les réunions, tant de pays parlent de paix et vendent ensuite des armes à des pays en guerre».
À cette occasion, le Souverain pontife a rappelé l'enseignement de Jean XXIII, le Pape auteur de Pacem in Terris: «La guerre, qui oriente les ressources vers l'achat d'armes et l'effort militaire, en les détournant des fonctions vitales d'une société, telles que le soutien aux familles, la santé et l'éducation, est contraire à la raison». En d'autres termes, «c'est de la folie, car c'est de la folie de détruire des maisons, des ponts, des usines, des hôpitaux, de tuer des gens et d'anéantir des ressources au lieu de construire des relations humaines et économiques. C'est une folie à laquelle nous ne pouvons pas nous résigner: jamais la guerre ne pourra être prise pour une normalité ou acceptée comme un moyen inéluctable de régler des différends et des intérêts opposés. Jamais».
Des mots actuels à l'époque, actuels aujourd'hui et actuels pour toutes les années à venir.
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