Cameroun: A?ssa Doumara, une voix contre les violences faites aux femmes
Augustine Asta - Cité du Vatican
Dans l'Évangile de Jean, Jésus dit: «Je vous donne un commandement nouveau: c'est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l'amour les uns pour les autres » (13, 34-35). Et c¡¯est ce grand commandement de l'amour de Dieu qui résume assez bien la vie et le combat de Aïssa Doumara Ngatansou, militante des droits de femmes et catholique pratiquante.
Foi et espérance
Sa foi chrétienne est au c?ur de son engagement. Elle considère sa mission de défense des droits des femmes comme une expression de sa foi, inspirée par les principes d'amour, de justice et de solidarité prônés par l'Évangile. Aïssa Doumara ?uvre dans un esprit de compassion et de soutien, en accord avec les enseignements de l¡¯Église catholique, pour aider les femmes à retrouver leur dignité, leur autonomie et leur sécurité. «La foi, c'est quelque chose de personnel et elle vous permet de réfléchir sur vous-même, sur l'existence même de manière globale. Je crois que ça m'a été d'un très grand bien et un grand apport dans tout ce que je fais. Le fait d'aimer l'autre comme moi-même», déclare-t-elle.
Cette figure emblématique dans la lutte contre la violence faites aux femmes au Cameroun, trouve en l¡¯amour de son prochain tout le sens de son engagement. &±ô²¹±ç³Ü´Ç;³¢´Ç°ù²õ±ç³Ü¡¯´Ç²Ô mène des actions en faveur de l'égalité de tous, il faudrait qu'on pose aussi des actes qui nous rendent joyeux, qui ne puissent pas offenser l'autre. Il faudrait que tout ce que l'on fait, qu'on le fasse comme si on le faisait à soi même». Comme le disait le Pape François lors de la prière de l¡¯Angélus du 29 octobre 2017 «sans amour, la vie et la foi sont stériles». Car c¡¯est «l¡¯amour qui donne l'élan et la fécondité à la vie, et au cheminement de foi», avait alors dit le défunt Saint-Père depuis la fenêtre des appartements pontificaux. Des propos qui aujourd¡¯hui encore, restent le moteur de l¡¯engagement «au féminin» de Aïssa Doumara. «Ma façon de penser, d¡¯espérer, de croire qu¡¯il n'y a aucune situation permanente et de mettre en ?uvre des activités, est soutenue par la foi que j'ai», affirme-t-elle.
Le parcours de conversion
Née dans une famille musulmane, son histoire de conversion est partie d¡¯une révolte d'adolescente. «J'ai voulu montrer à mon père que j'étais en désaccord avec certaines décisions qu'il avait prises à mon encontre», soutient-elle. Cette envie de se convertir est aussi liée à sa belle famille, raconte-t-elle: «Ma belle-mère était une très grande croyante catholique. C'est aussi grâce à elle que j'ai suivi le chemin, devenu le mien», ajoute-t-elle, insistant: «Mon père était le premier à s'offusquer», insiste-t-elle. Étant l'aînée de la famille, il craignait que son choix «influence les autres cadets», «l'empêchant de ne pas jouer pleinement son rôle d'éducateur spirituel et social de la famille», confie-t-elle avec un léger sourire.
Si sa conversion au départ a orchestré des fractures au sein de sa famille, la situation s¡¯est heureusement apaisée par la suite. «Nous sommes restés en froid pendant de longues périodes. C'est bien après qu¡¯il a accepté la situation». Ce fût un véritable soulagement pour celle qu¡¯on surnomme affectueusement «l¡¯avocate des femmes».
Une vie au service du bien-être et de l¡¯épanouissement des femmes
Son combat contre les violences faites aux femmes qu¡¯elle mène depuis 27 ans aujourd¡¯hui, découle de son histoire personnelle. Un mariage forcé à l'âge de 16 ans. Mais bien avant d'entrer dans l'union maritale, la militante camerounaise avait déjà un esprit de combativité qui s¡¯est développé au fil des ans. «J'ai pris conscience qu'il fallait que je m'accomplisse, que je prenne des décisions pour me réaliser, pour m'imposer autrement. Personne d'autre ne le ferait pour moi», déclare-t-elle.
À l¡¯origine de son implication pour la cause des femmes , il y a aussi la question de la discrimination fondée sur le genre. «Très petite, j'ai perçu une différence de traitement entre mon frère et moi. Et je l'ai senti aussi bien au sein de la famille qu'au niveau de l'école. En classe de cinquième année du primaire j'étais dans une école nommée ¡®¡¯école des garçons¡¯¡¯, nous étions très peu de filles dans la classe, à peine une dizaine. Et le matin, lorsqu'on arrivait dans la cour de l'école, on se faisait brimer», détaille-telle, expliquant ensuite que «cette façon d'être traitée m'avait conduit à la fin de cette année-là, à aller demander moi-même mon transfert pour aller dans une autre école qui était dénommée ¡®¡¯école des filles¡¯¡¯. Je me souviens, toute petite, j'ai affronté le responsable de l'établissement pour lui demander mes documents afin de quitter l'école, ma s?ur et moi, pour aller nous inscrire dans une école de filles. Et je l'avais fait toute seule», rapporte-t-elle, pour démontrer la preuve de son engagement depuis belle lurette.
La recrudescence des violences faites aux femmes au Cameroun
La question des violences faites aux femmes au Cameroun, comme dans de nombreuses autres régions du monde, reste toujours un sujet d¡¯actualité. Une étude du Bureau des Nations Unies pour les femmes ONU Femmes, effectué en 2018 révélait le fait que «sur deux femmes, une aurait vécu la violence au Cameroun un peu plus de 51 %». Pour Aïssa Doumara «cela révèle la gravité de la situation» et surtout «qu'il faille mener des actions très fortes», insiste-t-elle. À ce tableau s¡¯ajoute la résurgence des cas de féminicide, et la pratique des mutilations génitales féminines dont la moyenne des statistiques avoisinent les 20 %. Ce même taux est enregistré pour les jeunes filles qui sont mariées soit de force, soit précocement.
Les femmes de cette partie du Cameroun subissent également de manière disproportionnée les effets du changement climatique. La sécheresse et les inondations inédites enregistrées récemment, «ont mis plus de 560?000 personnes en difficulté, causé des dizaines de morts, détruit des bétails et des habitations». Et ce sont les femmes qui subissent le plus l¡¯impact négatif de ces catastrophes naturelles, car elles sont «les productrices de nourriture». Le fait que leurs champ soit détruits, «cela les expose à la malnutrition, à la sous alimentation», «on rencontre des situations où les filles et les femmes sont les premières à se lever lorsqu'elles s'asseyent pour manger parce qu'il faut laisser le reste de repas pour les plus jeunes ou pour les hommes», décrie-t-elle. En plus «elles doivent aller très loin, chercher du bois pour la cuisine, et dans ces endroits là, elles peuvent être exposées à tout risque d'autres types de violences». «Les femmes enceintes sont parfois bloquées dans des endroits où elles ne peuvent pas atteindre les formations sanitaires qui parfois ces formations sanitaires même, se trouvent inondées», souligne-t-elle.
Les répercussions de la crise sécuritaire sur les femmes
La crise sécuritaire qui perdure depuis plus d¡¯une décennie dans la région de l¡¯Extrême-Nord du Cameroun a des effets continuels très néfastes sur les femmes et les filles. «Elles sont parmi le nombre de déplacés le plus élevé, soit 70 %». Les femmes et les enfants, filles et garçons dans la horde de déplacés sont obligés de quitter leur village. Sur le chemin «elles subissent toutes formes de violences, principalement le viol», déplore la militante camerounaise. Aussi, «elles peuvent être obligées de se marier plus jeunes, pour soulager le reste de la famille».
Des actions concrètes
Dans ce contexte de crise sécuritaire, la militante camerounaise travaille avec des structures du gouvernement, et au niveau de la communauté, sur les questions de réintégration. «Nous menons des activités de sensibilisation sur la cohésion sociale, sur le pardon, sur la réintégration» afin que les communautés d'accueil, c'est à dire les villages d'où provenaient les personnes enrôlées dans la secte terroriste Boko Haram, «puissent les accueillir à nouveau». Des activités de sensibilisation sur les questions des droits en lien avec la paix sont aussi menées. La dimension psycho sociale n¡¯est pas oubliée «Des centres de prise en charge psychologiques ont été mis sur pied, puisque les activités de santé mentale sont primordiales», affirme ±ô¡¯²¹³¦³Ù¾±±¹¾±²õ³Ù±ð.
La contribution de l'Église
L'Église catholique au Cameroun est engagée et soutient activement les initiatives visant à offrir une assistance aux victimes de violence, qu'elle soit psychologique, social ou matériel. «Nous travaillons beaucoup avec certains responsables religieux du diocèse de Mokolo, du diocèse de Yagoua et la Caritas». «Lorsque des femmes se rapprochent des responsables de l'Église pour des situations de violence qu'elles auraient vécu, elles sont accompagnées ou conduites dans des centres de prise en charge. Le curé ou le prêtre qui l'oriente fait un suivi par rapport à ce cas jusqu'à ce qu'une solution adéquate soit trouvée». En collaboration avec les structures de l'Église «des activités de sensibilisation, d'éducation sur les droits», sont réalisées, fait-elle savoir, sollicitant par ailleurs que cet engagement soit «plus poussé», afin que les femmes ne subissent plus «des violences orchestrées par leurs partenaires, qui sont aussi parfois des croyants», et que l'Église ne se limite pas «seulement à donner des conseils aux femmes pour qu'elles soient plus résilientes, plus compréhensives», mais qu'il y ait aussi «d'autres actions plus engagées à l'endroit des bourreaux que sont les personnes violentes à l'égard de leurs femmes et de leurs filles».
La cause profonde des violences faites aux femmes
L'organisation sociale patriarcale, l'éducation «à double standard» ou encore les pesanteurs socio culturelles qui persistent avec leur lot de pratiques rétrogrades, à l'instar des mariages précoces et forcés, mais aussi des mutilations génitales féminines «aggravent et perpétuent la violence faite aux femmes et aux filles», à l¡¯Extrême-Nord du pays. À cela se greffe la non adoption par le Cameroun d¡¯un texte spécifique axé sur la question des violences faites aux femmes. Pour Aïssa Doumara, il faut «agir à tous les niveaux, mettre en place des sanctions très fortes contre les auteurs des violences, mais aussi soutenir les victimes et continuer des activités de prévention».
«Lorsqu'une personne est brisée, il faudrait la relever», détaille-elle. La lutte contre les violences passe également selon la millitante camerounaise, par l¡¯intensification des plaidoyers afin d¡¯«avoir des lois plus strictes, plus fortes et spécifiquement orientées contre les violences faites aux femmes et aux filles».
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