Mgr Profittlich, martyr de la foi sous l¡¯occupation sovi¨¦tique, b¨¦atifi¨¦ ce samedi en Estonie
Alexandra Sirgant ¨C Cité du Vatican
L¡¯Estonie a beau être l¡¯un des pays les plus sécularisés du vieux continent, la béatification de Mgr Eduard Profittlich représente un évènement historique pour l¡¯ensemble de sa population. En premier lieu, pour sa petite mais vibrante communauté catholique qui compte aujourd¡¯hui près de 7 000 fidèles. Mais aussi pour l¡¯ensemble des 1,4 million d¡¯estoniens qui rendront hommage ce weekend aux milliers de victimes des déportations soviétiques après l¡¯invasion du pays en 1940. Leurs 22 601 noms ont été lu un à un ces dernières 24 heures par 150 volontaires se relayant sans relâche depuis jeudi après-midi. Parmi ces noms, celui de ce jésuite aux origines allemandes qui, relate l¡¯actuel évêque de Tallinn, fit le choix de «garder la lumière de la foi et de la charité jusqu¡¯au dernier moment», lors de l¡¯¡¯une des périodes les plus sombres de l¡¯Histoire estonienne.
Une vie de courage soumise aux tumultes du XXe siècle
Né le 11 septembre à 1890 à Birresdorf en Rhénanie dans une famille d¡¯agriculteurs, Eduard entre en 1913 dans la Compagnie de Jésus. Il se rend aux Pays-Bas pour commencer ses études, qui seront interrompus par l¡¯éclatement de la Première guerre mondiale, et poursuit sa formation à Cracovie, avant de servir à Opole, ville polonaise alors intégrée à l¡¯Allemagne. La Pologne sera «sa patrie spirituelle», explique Mgr Philippe Jourdan, si bien que des messes d¡¯actions de grâce y seront également célébrées ce weekend, parallèlement à la cérémonie de béatification.
En 1930, six ans après l¡¯établissement d¡¯une administration apostolique en Estonie par Pie XI, le prêtre jésuite est envoyé dans le pays balte qui ne compte alors qu¡¯un millier de fidèles catholiques. Un an plus tard, il est nommé administrateur apostolique avant d¡¯être ordonné évêque en 1936. Tout comme dans les autres pays d¡¯Europe du Nord, «les catholiques avaient disparus pendant des siècles», explique son successeur, Mgr Jourdan. Ordonné en 1936 comme premier évêque d'Estonie depuis la Réforme protestante au XVIe siècle, Mgr Profittlich va donner une impulsion pastorale très forte à cette petite communauté, en passant notamment par l¡¯usage de la langue estonienne. Avant la promulgation de nouvelles lois sur la tolérance religieuse en 1905, les Estoniens ne pouvaient pas devenir catholiques, et les fidèles vivant dans le pays étaient pour la plupart issus d¡¯autres minorités nationales, notamment allemande ou polonaise. Soucieux d¡¯annoncer le message de l¡¯évangile à tous, il deviendra le premier prêtre catholique après la Réforme à prêcher en langue estonienne. «C¡¯est ce qui a permis, petit à petit, à l¡¯Église de faire son chemin dans la société et les premières conversions d¡¯estoniens au catholicisme ont eu lieu à ce moment là», rappelle l¡¯actuel évêque de Tallinn.
En 1935, Eduard Profittlich prend la nationalité estonienne, un message fort de loyauté envers le pays, qui sera confirmé par son choix de rester auprès de son Église au moment de l¡¯occupation soviétique. «Pratiquement tous les Allemands qui étaient là à cette époque ont fait le choix de partir», souligne Mgr Jourdan. «Il a été un des seuls à rester, tel un pasteur qui reste jusqu¡¯au bout¡c¡¯est un exemple de fidélité pour la société estonienne». Le 27 juin 1941, Mgr Profittlich est transféré à Kirov en Russie, où il sera torturé, accusé d¡¯espionnage, d¡¯activité contre-révolutionnaire et condamné à mort. Les mauvais traitements infligés en prison entraînent sa mort le 22 février 1942, avant même qu¡¯il ne puisse être exécuté..
La renaissance de l¡¯Église estonienne
S¡¯ensuivent alors 50 ans de régime soviétique qui freineront le dynamisme de l¡¯Église estonienne, avant la chute de l¡¯URSS et l¡¯arrivée de Mgr Jourdan en 1996. Ordonné administrateur apostolique en 2005, ce dernier est le successeur direct du futur bienheureux estonien. L¡¯évêque d¡¯origine française se dit très reconnaissant envers le Saint-Père pour ce premier bienheureux donné à son pays d¡¯adoption, un aboutissement important pour son territoire érigé en diocèse en septembre 2024. «Je pense qu¡¯une Église locale n¡¯est pas encore tout à fait une Église tant qu¡¯elle n¡¯a pas son saint ou son bienheureux», assure-t-il. Il souligne également la portée d¡¯une telle reconnaissance pontificale pour les pays séculiers «car la béatification est une manière d¡¯enracinement de l¡¯Église».
La cérémonie aura lieu à 11 heures samedi matin sur la place de la Liberté de Tallinn, là où sept ans plus tôt le Pape François avait célébré une messe devant des milliers de fidèles. Peu de temps avant son décès, le Pape argentin ouvrit la voie à la béatification de Mgr Profittlich, approuvée ensuite par le Pape Léon XIV. Le Saint-Père a confié au cardinal Christophe Scönborn, archevêque émérite de Vienne, la célébration du rite de béatification auquel participeront les proches du futur bienheureux, ainsi que des pèlerins venus de Finlande, de Lettonie ou d¡¯Allemagne, en sus des Estoniens.
Au-delà de l¡¯aspect international de l¡¯évènement, l¡¯évêque de Tallinn insiste également sur sa dimension ?cuménique. La messe sera clôturée par une prière commune avec l¡¯archevêque luthérien d'Estonie, Urmas Viilma, et le métropolite orthodoxe de Tallinn et de toute l'Estonie, Stephanos, pour les âmes de tous les défunts morts dans les mêmes conditions qu¡¯Eduard Profittlich.
Mgr Philippe Jourdan témoigne du fort sentiment de reconnaissance ressenti par l'ensemble des fidèles chrétiens: «Il y a quelques jours, j¡¯étais dans un lycée privé luthérien de Tallinn pour parler de cette célébration, et c¡¯était très beau de constater la manière dont les luthériens reçoivent cette béatification comme si c¡¯était la leur». Et à lui de rajouter, «Si au XVIe siècle, les saints nous ont séparés, à mon avis aujourd¡¯hui, les saints ont le potentiel de nous réunir».
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