Mgr Samuel Kleda, ?Sauvons notre pays de sa mort lente?
Jean-Paul Kamba, SJ ¨C Cité de Vatican
Le Cameroun est engagé dans un processus électoral qui ne rassure pas. Face à l¡¯urgence de la situation, l¡¯Eglise appelle à une prise de conscience générale de tous les acteurs sociaux «en vue de réconcilier les c?urs et de normaliser la vie sociale». Mgr Samuel Kleda est l¡¯une des voix qui, face à un pays «malade dans tous les domaines», alerte sur «les signes avant- coureurs de la mort lente du pays».
Un devoir de responsabilité face à l¡¯avenir du pays
Dans sa lettre pastorale rendue publique le 8 aout 2025, l¡¯archevêque de Douala rappelle que choisir un Président de la République est un devoir citoyen qui engage l¡¯avenir de tout un pays. Il considère ce devoir comme étant une voie inévitable pour «poser les jalons d¡¯une société nouvelle et prospère, fondée sur la paix et la justice, et tournée vers le bien-être de nous tous».
Le peuple camerounais va aux urnes dans un contexte marqué par de multiples maux qui l¡¯affligent. Mgr Kleda est conscient de l¡¯urgent besoin «de paix, de justice et de réconciliation, en ce moment délicat de l¡¯histoire du pays».
Son message est d¡¯abord une invitation «à un changement de mentalité et d¡¯attitude, à une transformation intérieure profonde, à un nouveau cheminement et à un renouvellement de notre vie pour être des artisans de paix» (Mt 5, 9).
L¡¯espérance: une vertu qui nous met en chemin
Il faut reconnaitre que la société camerounaise «porte dans sa mémoire et dans sa chair les signes de souffrances atroces qui frappent particulièrement les plus pauvres et les plus faibles, pris en otage par des chaînes de la corruption et de l¡¯injustice». Face à ce constat, Mgr Kleda est convaincu que l¡¯espérance demeure «la vertu qui nous met en chemin, qui nous motive pour aller de l¡¯avant, même quand les obstacles semblent nombreux et insurmontables».
Des actes anti évangéliques à la base du malaise
Mgr Kleda pointe du doigt ce qui pose problème, ronge le pays et provoque «un mécontentement généralisé dans les c?urs des citoyens en cette période préélectorale». Il s¡¯agit «des actes anti évangéliques qui sont institués dans la gestion de notre pays». Prenant à témoin la conscience de tous les camerounais, l¡¯archevêque de Douala dresse une liste de ces malaises: la mauvaise gouvernance et la corruption, la démocratie dévoyée, la pauvreté généralisée et le chômage, l¡¯immigration clandestine, le délabrement du réseau routier, l¡¯accès difficile à l¡¯eau et à l¡¯électricité, la gestion nébuleuse du pétrole, les injustices dans l¡¯exploitation minière, les crises anglophone et sécuritaire à l¡¯Extrême Nord.
Ces maux «pervertissent les relations entre les citoyens et les gouvernants, engendrent l¡¯abus de pouvoir et l¡¯injustice», fait-il remarquer en appelant à une justice sociale qui s¡¯exprime par «le respect des droits de la personne humaine et le développement de tout ce qui lui permet de s¡¯épanouir et de réaliser sa vocation».
Mauvaise gouvernance et corruption
Le constat est amer. «À maintes reprises, nous avons dénoncé la corruption dans notre pays, sans qu¡¯une action efficace des pouvoirs publics soit mise en place en vue de son éradication». Mgr Kleda regrette que ce fléau soit présent dans tous les domaines de la vie sociale jusque dans la vie ordinaire: l¡¯administration, l¡¯éducation, la finance, les marchés publics, l¡¯armée, la police, la gendarmerie, la justice, la religion, la santé publique.
Il déplore également le pillage et le gaspillage des ressources publiques qui servent à entretenir un «train de vie exponentiel des membres du gouvernement, alors qu¡¯une grande majorité de citoyens crève de faim».
Le peuple au c?ur des préoccupations des dirigeants?
Le verdict est sans appel pour Mgr Kleda qui constate que le citoyen camerounais n¡¯est plus au c?ur des préoccupations de ses dirigeants. Par contre, «l¡¯accent est plutôt mis sur l¡¯individu, le groupe, le clan, l¡¯ethnie, le lobby». Cet état de chose sacrifie la majorité de la population, la poussant vers la paupérisation et la misère qui détruit le Cameroun et hypothèque «l¡¯avenir des millions de personnes, surtout des jeunes». Comme prophète de son peuple, Mgr Kleda «invite chacun à prendre ses responsabilités, et à s¡¯impliquer davantage dans la transformation des mentalités, des comportements et des pratiques pour un Cameroun meilleur».
Non à une démocratie dévoyée
La tolérance, le dialogue, la transparence, la justice et la vérité font partie du jeu démocratique. Mais cela n¡¯est pas une réalité au Cameroun, dénonce Mgr Kleda qui affirme que la démocratie dans ce pays est «entachée par la violence institutionnelle, les intimidations, l¡¯absence de transparence, de vérité et de justice».
L¡¯archevêque de Douala exhorte «à construire ensemble un avenir basé sur la justice, la fraternité et l¡¯amour» et rappelle que le dialogue reste un pilier fondamental de la démocratie. Pour lui, une démocratie où «les acteurs politiques sont méprisés, brutalisés, embastillés, est vouée à l¡¯échec». En même temps, il fustige le fait que «les acteurs politiques camerounais ne dialoguent pas» ce qui ne permet pas «de consolider le vivre - ensemble dans la paix».
Le scandale des inégalités sociales
La pauvreté au Cameroun est un facteur très préoccupant. Mgr Kleda constate que la fracture entre les gouvernants et les citoyens se creuse chaque jour, «à cause de l¡¯accroissement des inégalités sociales, le refus de promouvoir un développement humain intégral profitable à tous». Pour lui, le défi que les dirigeants camerounais doivent relever réside dans «le respect et la mise en application de la notion du bien commun». Concrètement, il va falloir que les richesses nationales profitent à tous les citoyens. Mgr Kleda dénonce en outre le scandale de la misère d¡¯une majorité des camerounais face à l¡¯opulence arrogante d¡¯une minorité.
L'immigration clandestine: douloureux exode des cerveaux
Face à avenir sans perspectives, la jeunesse camerounaise se voit contrainte de partir «vers d¡¯autres cieux à la recherche d¡¯un emploi décent et de meilleures conditions de vie et d¡¯éducation que leur pays, le Cameroun, ne peut leur offrir».
L¡¯archevêque de Douala déplore que «cet exode des cerveaux vide notre pays, des jeunes intelligents, qualifiés, des scientifiques, des ingénieurs, des professionnels de la santé au profit des pays offrant de meilleures conditions de vie et de travail». Les jeunes camerounais qui s¡¯engagent sur les chemins de l¡¯immigration périssent en mer pour certains. Ces morts, décrète Mgr Kleda, non sans regret, «l¡¯histoire les portera un jour dans la conscience des gouvernants».
Le problème de l¡¯eau et de l¡¯électricité
Bien que le Cameroun regorge d¡¯énormes potentialités hydrauliques, l¡¯accès à l¡¯eau potable est «encore loin d¡¯être satisfaisant» dans le pays. Même constat en ce qui concerne l¡¯électricité. Cette carence, s¡¯indigne Mgr Kleda, contraste for malheureusement avec «de nombreux projets de développement énergétique, tels que les barrages hydroélectriques» conçus «pour enrichir les fonctionnaires véreux à travers les rétro commissions».
Une gestion opaque des ressources
La transparence dans la gestion des différentes ressources du pays laisse à désirer. Mgr Kleda constate par exemple que la gestion du pétrole camerounais reste «tout un mystère, car le domaine des hydrocarbures est confisqué par un groupe d¡¯individus qui s¡¯attribue des marchés d¡¯exploration, de forage, les contrats pétroliers, la commercialisation».
Il dénonce cette pratique qui nuit au développement économique et social du pays, car les revenus pétroliers ne profitent pas équitablement à toute la population. Mgr Kleda trouve inadmissible le fait que les hydrocarbures soient, «non pas au service de l¡¯économie nationale, mais, la chasse gardée d¡¯un cercle restreint du pouvoir politique qui s¡¯attribue les marchés, les postes et s¡¯arroge tous les droits et privilèges alors que la majorité croupit dans la misère». Le secteur minier ne fait aucune différence. L¡¯archevêque de Douala dénonce cette situation «qui crée des frustrations et la colère au sein des populations».
Les crise anglophone et sécuritaire, un vrai problème
Deux grandes crises caractérisent le Cameroun. D¡¯une part la crise anglophone qui a éclaté en 2017; d¡¯autre part, la crise sécuritaire à l¡¯extrême nord du Cameroun, caractérisée par des attaques violentes des groupes terroristes de la secte Boko Haram. Face à ces situations extrêmement douloureuses et inquiétantes, Mgr Kleda demande au gouvernement de n¡¯épargner aucune mesure pour «réinstaurer la paix dans toutes les Régions en crise». Mais, chaque citoyen doit savoir que cette crise le concerne et qu¡¯il faut se mobiliser comme nation pour mettre un terme à ce drame qui met à mal la quiétude de toute la nation.
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