Mgr Gollnisch: ?Il faut une doctrine sociale de l¡¯?glise adapt¨¦e au Moyen-Orient?
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Comment recevez-vous ce discours, l¡¯un des premiers du pontificat, à l¡¯adresse des Églises orientales?
Je ne doutais pas de la connaissance, ni de l¡¯intérêt, du Pape Léon pour les Églises orientales. Il s'inscrit dans une tradition, qui remonte à Léon XIII, de respect pour les Églises orientales, dans l'esprit du décret de Vatican II pour les Églises orientales catholiques, qui est de rappeler que toutes les Églises, orientales ou latines, sont égales en dignité. Par conséquent, les Églises orientales n'ont pas été sous la protection de l'Église latine ou ont rejoint l'Église latine. Elles sont catholiques autant que l'Église latine. Le fait d'avoir rappelé cela est tout à fait essentiel. Cela ne me surprend pas car c'est vraiment la tradition de l'Église catholique depuis un siècle.
Aussi, je suis sensible aux appels qui ont été faits à assurer et conforter la synodalité dans les Églises orientales. Chaque Église orientale a un synode qui est le rassemblement des évêques de cette Église sous l'autorité d'un patriarche ou d'un archevêque majeur. Il est important que cette synodalité se joue à fond au moment où l'Église latine redécouvre la synodalité. Les Églises orientales, qui ont une longue expérience en la matière doivent renforcer la synodalité existante, traditionnellement et canoniquement. Il faut que l'on s'assure que cette synodalité fonctionne comme telle. Enfin, le Pape Léon a invité les Églises orientales à une certaine rigueur de gestion, une rigueur financière. C'est un service à rendre aux Églises orientales, car si en Occident ces règles sont parfois trop lourdes, en Orient, il y a sans doute «une marge de progression». C'est intéressant qu'il ait invité les Églises orientales à plus de rigueur dans ce domaine.
Léon XIV encourage les chrétiens orientaux à rester sur leur terres. Comment accueillez-vous cet appel aux allures de véritable engagement?
Il utilise même le mot de résistance qui me touche car c'est le titre d'un de mes livres Résister sur notre terre. Si l¡¯on appelle les chrétiens d'Orient à rester sur leur terre, cela veut dire que l'on s'engage à leurs côtés pour maintenir les conditions de leur permanence en Orient. Cela veut dire qu'on va se battre pour leurs droits, pour leur juste place dans les pays dans lesquels ils se trouvent. Ce n'est pas simplement une position générale ou théorique. Cela signifie que l'on vous invite à essayer de rester sur votre terre parce que nous sommes à vos côtés. Je ne doute pas que le Pape Léon soit désireux d'être à leurs côtés.
Insistance a été faite sur le soutien concret aux diasporas par la création, quand cela est possible, de circonscriptions orientales. Pourquoi est-ce nécessaire?
Les circonstances de ces dernières années ont favorisé une émigration, ce qui fait qu'un certain nombre de fidèles orientaux sont sortis de leur territoire traditionnel, le territoire patriarcal et se retrouvent souvent dans des pays de tradition latine, ce qui entraîne trois possibilités. Soit ces fidèles orientaux se trouvent sous l'autorité directe des évêques latins de là où ils se trouvent. Cela pose une difficulté parce que ces évêques latins ne connaissent pas toujours bien les traditions orientales, le droit oriental, parce qu'il y a un droit spécifique pour les orientaux catholiques, ne connaissent pas bien leurs usages, leur langue, etc.
Une autre possibilité réside en la création de diocèses orientaux dans le monde latin. Cela peut se faire dans de grands pays homogènes. Par exemple, on peut envisager un évêque oriental en Australie ou au Canada, aux États-Unis, mais en Europe, cela reste difficile. Car si l'évêque oriental est simplement pour un pays, la France, la Belgique, etc, ce pays est parfois trop petit pour justifier un diocèse. Si c'est aux dimensions de l'Europe, c'est très compliqué car il y a des statuts extrêmement différents pour les communautés chrétiennes. En Allemagne, c'est un concordat. En Suisse, c'est une situation qui est examinée canton par canton. En France, c'est un régime de séparation. Créer un diocèse incluant une constellation de situations diverses me semble extrêmement difficile.
Il y a une troisième possibilité qui existe notamment en France, en Autriche, en Espagne. C'est l'idée d'un ordinariat, c'est-à-dire d'une instance spécifique adaptée pour accompagner les communautés orientales. Et donc il y a un débat pour savoir laquelle des trois solutions est préférable, notamment pour l'Europe. Et c'est parce que ce débat est ouvert que le Saint-Père Léon y a fait référence. Mon souhait personnel pour la France est plutôt celui d'un ordinariat, soit d'une structure différente des diocèses latins, mais connaissant bien les situations locales françaises pour aider ces communautés orientales à vivre dans la fidélité à leurs rites.
Le Pape annonce également de nouvelles normes, lignes directrices et principes partant du dicastère pour les Églises orientales pour soutenir et préserver les traditions des orientaux en diaspora. Qu¡¯attendez-vous en la matière?
J¡¯attends du dicastère pour les Églises orientales qu¡¯il aide les Églises orientales à traduire dans les faits la synodalité, les règles de collégialité et de transparence comptable. J'attends aussi de Rome qu¡¯elle favorise des nominations d'évêques, justement là où normalement il y a un évêque oriental. Je me permets de rappeler qu'en France, il y a trois diocèses orientaux que l¡¯on appelle des éparchies: celle des Arméniens, des Maronites et des Ukrainiens. Depuis six ans, il n'y a pas d'évêque en titre pour les Ukrainiens. Nous sommes dans une situation d¡¯intérim, d¡¯administration. Il n'est pas normal que cette éparchie depuis six ans n¡¯ait pas d'évêque nommé. Quant à l'éparchie maronite, même chose, il y a un administrateur. Cela fait plusieurs années qu'il y a des difficultés dans cette éparchie et cela fait deux ans qu'il n'y a pas d'évêque. J'attends du dicastère pour les Églises orientales qu'il favorise cette désignation d'évêques à travers le monde, là où il y en a besoin. Ensuite, je souhaiterais que la diplomatie du Saint-Siège envers ces différents pays se fasse davantage en concertation avec les Églises locales. La diplomatie du Saint-Siège, est un service d'Église et donc il est important que les Églises locales soient associées au travail diplomatique qui peut être fait comme par exemple, en Ukraine, comme par exemple, en Arménie, ou ailleurs.
Comment les Églises latines locales pourraient-elles mieux inclure les Églises orientales?
Elles ne sont pas là pour développer justement le latinisme. L¡¯Église latine est pertinente dans les pays latins, c'est-à-dire notamment en Europe occidentale et dans les Églises engendrées par l'Église occidentale, donc en Afrique, en Amérique latine, en Extrême-Orient. Là où il y a des terres de tradition orientale, je ne suis pas certain que l'Église latine soit appelée à créer une Église latine à côté des Églises orientales. En revanche, je pense, comme le font notamment les religieux et les religieuses qui sont souvent les lignes de force de l'Église latine en Orient, qu'elle est là au service de ces Églises orientales catholiques pour leur permettre de se renforcer, de se déployer et de remplir leur mission, notamment dans le domaine de l'éducation et de la santé. Ces instances latines qui sont souvent des congrégations religieuses doivent vraiment être au service de l'orientalité des Églises en Orient, et pas dans un régime d'une sorte de concurrence.
En diaspora, Léon XIV évoque le danger de traditions religieuses orientales édulcorées par le consumérisme et l¡¯utilitarisme. Dans quelle mesure est-ce un péril?
Ce danger vise tous les chrétiens, occidentaux, latins ou orientaux, dans les pays dits riches, où parfois la famille se distend. Mais je crois peut-être qu'il y a un autre risque. C'est aussi le risque que ces communautés qui sont appelées à conserver leurs traditions et leurs racines, se referment pour les conserver, ce qui serait un mauvais calcul. Il faut que ces communautés orientales trouvent leur place dans la société et dans l'Église des pays où elles se trouvent, tout en gardant leur particularité. Par exemple, une communauté orientale en France doit être ouverte à la société française, mais il ne faut pas que cette ouverture à la société française entraîne pour les fidèles des difficultés à rester chrétien. On sait bien que la vie libérale, un peu aisée, matérialiste, est un danger pour la foi. Il faut résister à ce danger sans se refermer sur soi-même. Il y un équilibre à trouver. Et c'est précisément le rôle d'un ordinariat d'aider à trouver cet équilibre.
Léon XIV se réclame d¡¯une filiation spirituelle directe avec Léon XIII. Quel fut la contribution de Léon XIII pour les chrétiens d'Orient?
Le Pape Léon XIII, qui a écrit une encyclique pour demander aux fidèles du monde entier d'apporter des dons à L'?uvre d'Orient, a aussi d'ailleurs demandé au cardinal Lavigerie, premier directeur de L'?uvre d'Orient, d'inviter les catholiques de France à rejoindre la République. Parce que sentant bien que l'Ancien Régime ne serait jamais rétabli, il fallait mieux que les catholiques soient à l'intérieur plutôt qu'à l'extérieur de la République.
Le Pape Léon XIII a favorisé ce retour dans l'Église catholique d¡¯orientaux qui gardaient leur tradition. Il a favorisé le fait que ces fidèles, dont les communautés se sont éloignées de Rome, ont rompu avec Rome, puissent rejoindre la catholicité sans forcément devenir latin. Léon XIII a joué un rôle important dans ce domaine.
L'?uvre d'Orient, qui s'appelait L'?uvre des écoles d'Orient, a, elle, été créée en 1856. Elle existait quand Léon XIII est devenu Pape et Léon XIII a publié une encyclique encourageant l'?uvre d'Orient, notamment à travers les écoles, invitant les fidèles du monde entier à soutenir l'action de l'?uvre d'Orient en matière d'éducation. À cette époque, il y avait beaucoup de travail à faire dans les pays du Moyen-Orient notamment pour la promotion de la femme, pour l'éducation chrétienne des jeunes, qui étaient parfois sous-formés, ainsi que pour aider à la liberté religieuse et à la coexistence de personnes des différentes religions reçues dans les écoles catholiques.
Léon XIII est aussi le Pape des grandes encycliques sociales, sur les crises sociales du XIXe siècle, qui avait condamné le socialisme et le libéralisme et invité à trouver d'autres chemins dans la vie sociale. Or, je crois que dans le domaine de l'Orient, du Moyen-Orient, il faut retravailler la doctrine sociale de l'Église. Autrement dit, la doctrine sociale de l'Église que le Pape Léon XIII a déployé s'est beaucoup développée dans un climat occidental: les relations entre l'ouvrier et le directeur, entre le capital et le travail. Ce sont les grandes luttes sociales que Léon XIII a essayé d'aider à surpasser, en en condamnant les excès.
Mais cette doctrine sociale de l'Église catholique a été très occidentale dans son élaboration. Il est important de réfléchir et d'élaborer une doctrine sociale de l'Église adaptée au Moyen-Orient, portant sur les questions de cohabitation de communautés religieuses, de la liberté religieuse, des droits humains, du statut de la femme, du statut du mariage. C¡¯est un chantier qui pourrait rejoindre ce lien que Léon XIV a voulu avec Léon XIII.
Léon fait aussi référence à Léon le Grand, Pape de l¡¯unité lors du concile de Chalcédoine. Quelle référence ?cuménique centrale cela recouvre-t-il?
Léon Ier a sauvé Rome de l'invasion par Attila, ce qui lui a évidemment acquis un considérable amour du peuple romain. Il y a les Attila des temps modernes. Chacun peut en avoir la liste en tête: les dictateurs, les gens qui se croient tout permis parce qu'ils sont les plus forts, les gens qui se croient tout permis parce qu'ils sont les plus riches. Il y a un vrai travail pour l'Église catholique de s'opposer à ces forces de dictature, ces forces déshumanisantes. Et je pense d'ailleurs que l'intérêt universel pour l'élection du nouveau Pape a montré qu'on attendait là quelque chose de l'Église catholique, d'un milliard 400 millions de catholiques dans le monde entier, avec la diversité du monde entier, mais qui se retrouve dans la communion avec un seul homme, l'évêque de Rome. C'est considérable dans le climat actuel du monde qui est dans la tension, dans l'opposition, dans le rapport de force.
L'autre aspect de Léon Ier, c'est donc la part importante qu'il a tenu dans le Concile de Chalcédoine, c'est-à-dire dans la formulation de la doctrine christologique de l'Église catholique. Ce n'est pas rien d'avoir réaffirmé que dans le Christ, il y avait une personne divine et deux natures complètes, sans mélange, humain et divine. Le Pape Léon a joué un rôle considérable, même s'il n'était pas lui-même participant au Concile. Mais il l'avait préparé dans une lettre adressée au patriarche de Constantinople, Flavien, connue par les théologiens sous le nom de Tome à Flavien, qui a précisé cette doctrine christologique. Sans doute pastoralement, spirituellement, nous sommes à une époque où il faut de nouveau mettre en avant ce c?ur de la doctrine chrétienne, le Christ vrai Dieu et vrai homme. Car la force de l'Église catholique, ce ne sont pas les structures de la Curie, c'est le Christ. Si nous souhaitons évangéliser, nous devons pastoralement mettre en avant la personne de Jésus.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester inform¨¦, inscrivez-vous ¨¤ la lettre d¡¯information en cliquant ici