?L'¨¦veil des consciences apport¨¦ par Laudato si' n'est pas pr¨¨s de s'estomper?
Fabrice Bagendekere, SJ ¨C Cité du Vatican
Les mouvements de lutte pour la protection de l¡¯environnement ne cessent de se multiplier, des villages écologiques créés, des réflexions, séminaires et écoles sur la pensée socio-environnementale inaugurée l'encyclique sur «la sauvegarde de la maison commune» ne cessent de se déployer. Par ailleurs, l¡¯impact sur les modèles de développement technocratiques et consuméristes, en vigueur depuis l¡¯avènement de l¡¯industrie technologique et que décrie l¡¯encyclique, reste encore minime, quand on considère la surexploitation, non-seulement de la nature, mais aussi humaine ces dernières années. D¡¯où la question: que faut-il espérer ? Tebaldo Vinciguerra, spécialiste de l'environnement au sein du Dicastère du développement humain intégral dresse une évaluation des perspectives ouvertes par cette encyclique, le chemin accompli jusqu¡¯à ce jour, tout en se projetant sur l¡¯avenir
Un développement humain intégral pour tous
Selon Tebaldo Vinciguerra, Laudato si' a ouvert un chemin pour l'analyse, le discernement et l'engagement. Ce nouveau paradigme est résumé dans le concept d¡¯ «écologie intégrale», tel que proposé au quatrième chapitre de l'encyclique. Cette appréhension ouvre à une vision d'interconnexion au sein de la nature. En effet, explique le spécialiste de l¡¯environnement, ce nouveau modèle de développement n'est pas un ensemble de cases à cocher. «Ni simplement l'eau, ni la gouvernance, l'école, l'énergie, la pollution, mais une vision interconnectée, avec une finalité une finalité précise». Cette finalité, dit-il, est d¡¯«amener les hommes et les femmes à une vie riche en sens, une vie bonne, une vie, j'ose dire, qui mène vers la sainteté pour chacun. Ou, si vous préférez, avec ce concept qui est à la mode depuis Pape Paul VI, un développement humain intégral pour tous, pour toute la famille humaine, une génération après une autre».
Ce n'est pas à l'Église d¡¯écrire les politiques pour les continents ou pour les pays
Le chemin est assez clairement balisé par l'encyclique pour la mise en place de nouvelles formes d¡¯économie et de développement. Il reste, par contre, que «ce n'est pas à l'Église, en tant que telle, d¡¯écrire les politiques pour les continents ou pour les pays», affirme Tebaldo Vinciguerra. «Ce sont les différentes institutions, les différents gouvernements qui peuvent ou pas emprunter ce chemin et l'adapter de la meilleure façon possible à leur contexte local», précise-t-il. Or, à considérer les différents rapports annuels publiés par les organes d'observation des Nations-unies, les problèmes dénoncés par l¡¯encyclique semblent prendre une ampleur démesurée. Doit-on parler d'impuissance de la communauté internationale à mettre en place des contraintes, ou simplement d¡¯un manque de volonté? Selon l¡¯environnementaliste, «il y a un nombre de choses qui pourraient expliquer l¡¯inaction de la communauté internationale», notamment «la prépondérance d'un paradigme technocratique qui tend à influencer les mentalités, influencer les cultures, à homogénéiser» et le fait que «les centres décisionnels soient éloignés de la vie courante de la majeure partie de la population». Des problèmes pourtant déjà dénoncés par l¡¯encyclique.
Laudato si' interroge tout d¡¯abord les choix personnels
La dénonciation des défaillances de nos systèmes et institutions de gouvernance ne doit pas conduire à un acharnement et surtout oublier que «notre dimension personnelle est également mise en cause», poursuit Mr Vinciguerra. En effet, explique-t-il, «la réponse voulue par l¡¯encyclique se veut une thérapie profonde. C¡¯est-à-dire, ne pas s'arrêter aux symptômes, mais aller jusqu¡¯aux racines des problèmes ». Il s¡¯agit de «mettre en ?uvre une éducation qui soit axée autour de la fraternité et de l'être plutôt que de l'avoir, de l'être plutôt que du paraître, et de la paix». En ce sens, explique-t-il, l¡¯encyclique interroge tout d¡¯abord les choix personnels de chaque homme et chaque femme. «Quel choix, compte tenu des informations dont je dispose et des alternatives auxquelles j'ai accès? Quel choix, dans mon rapport avec l'autre, dans mes achats, dans mon style de vie, dans mon vote, dans l'éducation que je donne à mes enfants?» Une telle disposition, ajoute-t-il, doit nécessairement aboutir à «des processus inclusifs et représentatifs», ce qui ouvre à «l¡¯appel au dialogue», une autre grande exhortation de Laudato si'.
Nous ne devrions pas non plus oublier les exigences d¡¯une économie saine
Est-il possible d¡¯emprunter le chemin ouvert par l¡¯encyclique sans pour autant craindre de perdre des ressources financières ou sur le plan global, une décadence de nos économies ? Tebaldo rappelle que «Laudato Si n'a jamais proposé de façon farfelue une humanité ayant un impact zéro sur la planète». Il s'agit néanmoins de «reconnaître la dignité intrinsèque des écosystèmes et des différentes ressources naturelles créées par Dieu. La dignité intrinsèque de tout ce qui nous entoure, de ce jardin, de cette création dont nous faisons partie». Par ailleurs, nous dit l¡¯environnementaliste, «si nous devons à tout prix sauver nos économies, nous ne devrions pas non plus oublier les exigences d¡¯une économie saine». Ainsi, dit-il, doit-on se poser la question de savoir «pour qui la machine tourne-t-elle». Sans ce présupposé, dit-il, «la machine a beau créer de la richesse - pour certains - mais elle reste malsaine». Aussi, Tebaldo Vinciguerra espère qu¡¯à la lumière de Laudato Si, «la Cop arrive à créer une architecture internationale efficace grâce à laquelle tous les pays arrivent ensemble à sauvegarder l¡¯environnement à travers la mitigation et l'adaptation».
Laudato si' dans l'après-François
Le 10ème anniversaire de Laudato si' intervient dans l¡¯ «après François», quel avenir pour cette encyclique ? A en croire Teblado Vinciguerra, «l'éveil des consciences apporté par l'encyclique n'est pas près de s'estomper, aussi longtemps que le cri des pauvres et le cri de la terre n'est pas près de s'éteindre». L¡¯environnementaliste compte sur «les organisations de nombreuses conférences épiscopales, le fait que plusieurs entrepreneurs, plusieurs congrégations, plusieurs réseaux catholiques se soient retrouvés dans la Plate-Forme d'Action Laudato si', lancée il y a quelques années par notre dicastère [le dicastère du développement humain intégral]. Le fait que de nombreux jardins, de nombreuses chapelles dans la nature, de nombreux projets alimentés par l'encyclique voient le jour mois après mois. Un phénomène impressionnant et qui ne peut pas laisser indifférent, qui laissera des traces».
Le Pape Léon XIV vient porter haut le combat social initié par son prédécesseur
L¡¯espoir est grand, affirme Mr Vinciguerra, quand on considère le programme voulu par le Pape Léon XIV, qui «a évoqué le lien entre son nom et Léon XIII, ce Pape a ouvert un grand chapitre dans la doctrine sociale de l'Église par le biais de l'encyclique ¡®¡®Rerum Novarum¡¯¡¯». C¡¯est un signal, dit-il, que plus qu¡¯une simple continuité, le nouvel Souverain pontife vient porter haut le combat social initié par son prédécesseur et qu¡¯ «indéniablement, l'écologie intégrale restera une question importante». L¡¯environnementaliste prend aussi pour appui les premiers discours et premières interventions du Pape Léon XIV. Ils nous permettent de voir, dit-il, «que le Saint-Père aura une approche interdisciplinaire d'interconnexion, j'ose dire cohérente, cohérente avec la dignité humaine révélée par le Christ qui nous a promis une vie en plénitude».
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